Chapitre 2 : Fabien

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  - Bonjour chéris !

- 'jour

Le jeune garçon, les yeux rivés sur l'écran de sa tablette, traversa la pièce pour s'avachir sur l'une des cinq chaises de la cuisine.

- Tu as faim ? Mange !

- Non

Sa mère leva les yeux au ciel et se prépara à répliquer, quand une voix grave et masculine, se fit entendre dans l'embrasure de la porte :

- Laisse-le Lucie. Son jeu doit-être passionnant !

Elle se tourna vers son mari et eut un sourire reconnaissant. Ces yeux brillaient d'amour pour l'homme qui se tenait devant elle. Celui-ci la serra contre son cœur et l'embrassa, comme au premier jour. Le garçon qui avait relevé la tête de sa tablette à l'arrivée de son beau-père, détourna les yeux. Ses mains se contractèrent sur le dossier de sa chaise. Il se mordit la lèvre.

- Chéris, lui dit sa mère qui n'avait rien remarquée, dit bonjour à ton père.

- C'est pas mon père, répliqua l'adolescent. C'est pas mon père.

  - Maxime ! s'offusqua Lucie

- Quoi ?!

Le garçon la défia du regard :

- Excuse-toi ! exigea sa mère

- Non. C'est pas mon père. Il est rien pour moi.

- Maxime. Je compte jusqu'à trois.

Le garçon eut un geste rageur de la main avant de laisser exploser une colère trop longtemps contenue. Il se leva si brusquement que sa chaise tomba avec un bruit fracassant et, de rage, jeta son bol en plastique à terre.

- Maxime arrête ! s'écria sa mère

- Maxime... tenta son beau-père

Mais le jeune homme les ignora. Il se tourna vers les deux adultes, debout bien droit :

- Maman, j'ai plus deux ans ! C'est pas mon père, hurla-t-il. J'ai pas de père ! Et toi...(il regardait maintenant son beau-père), toi t'imagines pas que tu vas prendre la place de celui qu'a foutu la vie de ma mère en l'air ! T'es pas mon père et tu le seras jamais. Pigé ?

Puis, bousculant sa mère, il sortit en trombe de la cuisine. Seuls les bruits du jeu de guerre vinrent troubler le silence de mort qu'il laissa derrière lui.

Ce fut Lucie qui se reprit en première. Quand elle parla, ce fut la voie nouée par une sorte de chagrin mêlée à de la consternation et à de la colère.

- Je... je ne sais pas ce qu'il lui arrive, en ce moment, il faut que j'aille lui parler.

- N'y vas pas chérie, l'arrêta son mari. Tu sais, c'est normal, je le comprends. Ça doit être compliqué de partager sa mère alors qu'on l'a eu pour soit tous seul depuis seize ans.

- ...

- Allez ! Laisse-lui une chance !

- Oui... mais tu as vu comment il t'a parlé ? Oh mon Dieu...(elle soupira) Mais tu as raison...

Le regard de Lucie se perdit dans la contemplation du ciel bleu que laissait entrevoir la fenêtre ouverte. Une larme perla le long de sa joue. Fabien l'essuya délicatement avec son doigt.

- Il va s'y faire, ne t'inquiète pas...

- Je...je pensais qu'avoir un père lui plairait. Je pensais qu'on serait heureux tous les trois, murmura Lucie, entre deux hoquets.

- Ne t'inquiète pas... dit encore son mari. Ne t'inquiète pas...

Sa femme se détacha doucement de son étreinte, et s'accroupit pour ramasser le bol de son fils. Puis, elle s'assit à la table et se servit un café. Fabien vit qu'elle faisait un énorme effort de maîtrise de soi, et il en eut chaud au cœur. Il l'observa un instant. Ses cheveux noirs tombant en cascade sur ses épaules, ses yeux bleus pales, son regard qui semblait ne déjà plus faire partit de ce monde, tout en elle lui plaisait. « Cette femme est plus forte mentalement que la plupart des gens, se dit-il. La vie ne l'a pas épargnée. » Il s'assit à côté d'elle. Relevant la tête, elle lui servit une tasse de café, puis se replongea dans ses sombres pensées.

Curieux, Fabien la scruta, essayant de percer à jour l'esprit triste de sa femme. Peut-être était-elle en train de se remémorer l'une de ces trente-quatre dernières années avant leur rencontre ? Ou bien songeait-elle aux temps qu'elle avait passé seule avec son fils, dans leur petit appartement en banlieue parisienne ?

Tout le long que dura cette longue tribulation, Fabien resta silencieux. C'était l'unede ces plus grandes qualités aux yeux de Lucie : il s'avait se taire, ne rien dire. Et il savait quand le faire. Ce fut-elle encore une fois qui brisa le silence :

  - J'aimerais bien avoir un enfant. Un deuxième.

- Tu veux dire, un enfant...de nous deux ?

- Oui.

Cette déclaration avait eu le don de désarçonner Fabien. Il bafouilla :

- Mais... je croyais que...

- Que je ne pouvais plus en avoir... ? Oui, je sais, je sais, mais... ça ne te dirai pas à toi, un deuxième enfant ?

- Bien sûr que oui que ça me dirait, Lucie ! Mais les médecins ont dit que...

- Je sais Fabien. Je rêvais, c'est tout.

Elle se détourna. Un sanglot silencieux fit tressaillir ses épaules. Fabien voulut la prendre dans ses bras, mais elle se dégagea doucement.

- Je suis désolé, Lucie. Pardonne-moi, je ne...

- Non, ce n'est rien. C'est moi.

Ils ne dirent plus rien, jusqu'à ce que Fabien annonce, hésitant :

- Il...il faut que j'y aille, chérie. Je...je suis vraiment désolé, et je...

Lucie ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase et plaça son doigt sur les lèvres de son mari.

- Chut. On oublie ça, ne t'inquiète pas...

- Ne t'inquiète pas... murmura à son tour Fabien.

Lucie se leva et ajouta, d'un ton un peu trop joyeux pour être réel :

- Je vais aller parler à mon ados préféré. Bonne journée, mon cœur !

- Bonne journée, Lucie.




Paris 2084 [En pause définitive désolé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant