Chapitre 20 : Fabien

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Fabien, adossé au bar, les yeux plongés dans sa tasse de café fumante, faisant abstraction du bruit régnant dans la cafeteria de son entreprise, laissait son esprit vagabonder. Comme souvent, ses pensées tournaient autour d'un même sujet, sa femme, et son beau-fils. Celui-ci avait par ailleurs fini par rompre le silence maussade dans lequel il s'était enfermé depuis quelque temps. Mais cela n'avait été que pour repartir à l'attaque, et de plus belle. La veille au soir, il avait exigé des explications. Il ne savait rien en soit, mais il se doutait bien que quelque chose se tramait dans son dos, et cela ne lui plaisait pas. Mais Fabien et Lucie avaient décidé, d'un commun accord, que tant que les résultats des tests ne seraient pas tombés, tant qu'ils n'auraient pas la certitude de pouvoir aller jusqu'au bout de leur entreprise, ils garderaient ce secret. Par conséquent, tout deux n'avaient rien lâché, jouant les incrédules, et, comme de trop nombreux soirs depuis que Fabien était le beau-père de Maxime, la soirée s'était terminée dans les cris et les larmes.

« Tout à fait reposant. » songea l'homme, un tantinet ironique.

À vrai dire, il avait du mal à ressentir de la compassion envers ce garçon. Il était comme lassé de ce perpétuel mépris qu'adoptait envers lui Maxime. « Est-il idiot pour ne pas voir à quel point cela fait du mal à sa mère ? ». 

Fabien avait l'impression d'avoir tout essayé, tout tenté. D'avoir fait des concessions énormes, aussi. D'avoir sacrifié beaucoup de chose sur l'hôtel de ce que sa mère aimait autrefois appeler « cohésion familiale ». Mais rien. Aucun résultat, et toujours cet air insolent qu'avait le jeune garçon à son égard.

Soupirant, l'homme se décida à boire enfin sa tasse. La sensation du liquide chaud coulant dans sa gorge et du goût amer du mauvais café se répandant sur sa langue, le ragaillardis quelque peu. Claquant des lèvres en signe de satisfaction, il jeta son gobelet dans l'une des trois grosses poubelles rouges de la cafeteria, avant de se diriger d'un pas sûr vers la sortie. 

Il slaloma entre les tables, évitant tant bien que mal de marcher sur les pieds de ses collègues, attablés à trois ou quatre autours d'un verre. Il était quatre heures et demi, et beaucoup des employés de la société estimaient qu'il était temps pour eux de prendre une pose, avant de rataquer le rythme effréné de leur travail, et ce jusqu'à sept heures du soir. Mais Fabien, de nature besogneuse, n'était pas exactement de leur avis. Voilà pourquoi, sa boisson bue, il se dépêchait de retrouver le calme rassurant et aseptisé de son bureau. 

Enfin en dehors, l'homme pressa le pas pour s'éloigner du brouhaha, vite étouffé par un léger vent froid qui sifflait à ses oreilles. La cafétéria se trouvait dans un bâtiment détaché des autres, comme si l'architecte avait voulu en faire une petite oasis d'oisiveté dans cet espace où le sérieux régnait en maître.

Fabien était à quelques mètres de la porte du hall, quand la silhouette de son chef, Pierre Lafabre, apparut dans l'encadrement de la porte du bâtiment mitoyen. Le chef des programmations semblait passablement énervé.

- Bonjour M. Lafabre fit Fabien, lorsqu'il fut à sa hauteur

- Ah ! Mr. Dulcose... excusez-moi je n'ai pas le temps de discuter. On se retrouve dans une heure en bas, je veux voir les progressions sur l'algorithme, c'est d'accord ?

- Très bien...

Mais sa réponse n'avait pas dû parvenir aux oreilles de l'homme, déjà loin. Fabien resta un instant à le regarder disparaître dans le bâtiment de la cafétéria.

Depuis que Mr. Lafabre était arrivé dans l'entreprise, l'opinion de Fabien à son égard avait beaucoup évolué. De méfiant (il avait même oublié la raison exacte de cette méfiance.), il était passé à reconnaissant. Puis cette reconnaissance s'était muée en une sorte de profonde dévotion envers cet homme. Cependant, les charmes de sirène de Mr. Lafabre n'avaient d'effet que sur Fabien. En effet, la plupart des employés d'Ignicurs, voyaient d'un mauvais œil ses activités, et les potins allaient bon train, traversant les couloirs dans un bruissement de chuchotis, tel autant d'insectes indésirables d'une jungle tropicale. Pour Fabien, ce ne pouvait être que des jaloux qui médisaient de cet homme, qui était pour lui l'idéale du mâle fort. Il était celui qui savait s'imposer. Son exact opposé. Celui qu'il aurait aimé être. Celui qu'il n'était pas. 

Paris 2084 [En pause définitive désolé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant