Chapitre 15 : Noor

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Le réveil de Noor affichait tout juste une heure trente du matin lorsqu'elle décida de sortir de son lit pour se préparer une tisane. Voilà une heure et demi qu'elle était rentrée de chez son frère avec la ferme intention de dormir, mais elle n'avait pas encore réussi à fermer l'œil. Fichues insomnies !

La jeune femme étouffa un bâillement avant de prendre son courage à deux mains, et de sortir ses pieds de sous sa couette, pour les poser dans ses pantoufles chauffantes. Malgré cela, elle frissonna. Pestant contre le sommeil qui ne venait pas, elle finit par s'extirper tant bien que mal du lit. « Vivement que j'ai assez d'argent pour m'acheter un robot, songea-t-elle. »

Noor traîna ses jambes lourdes de sommeil jusqu'à la cuisine. Sur le seuil, elle ordonna à la lumière de s'allumer, et cligna des paupières lorsque la salle fut baignée par une lumière vive.

Marquant une pause, elle reprit bien vite ses esprits. D'un coup d'œil, elle avisa un des placards. Elle dut se dresser sur la pointe des pieds, pour pouvoir passer sa main à l'intérieur. Tâtonnant du bout des doigts, elle effleura les surfaces lisses et courbées des différends récipient, avant de se saisir d'une hanse.

La tasse qu'elle avait piochée était d'un blanc laiteux, avec une petite fée dessinée dessus. Une tasse sans grand intérêt, peut-être même un peu enfantine. Pourtant, Noor la reposa vivement sur l'établi. Elle se mordit la lèvre et rejeta sa tête en arrière, comme si un éclair de douleur venait de la traverser.

« Pourquoi ça me revient maintenant ? murmura-t-elle à elle-même, la gorge nouée par une boule qui semblait grossir de minutes en minutes »

Elle ferma les yeux, le plus forts possible pour chasser les images qui lui venaient en tête.

Un salon, un flash, un cri. Un bruit de porte qui claque.

Gabriel qui s'envole et puis, elle et son cœur qui tombent, tombent, tombent, encore et encore. Une chute qui ne s'arrête que quand ils s'écrasent au sol. Son cœur qui éclate sous l'impact.

Les larmes, qui creusent les premiers sillons de futures rides, et qui rougissent ses yeux.

Et puis la tasse blanche où un thé refroidit, posé sur la table basse. Et la fée, seule témoin du drame.

Et sa vie qui passe un carrefour.

Et le chemin qui ne s'arrête pas, qui parait long, infini.

Et les ampoules, les ecchymoses, les coupures de son cœur qui semblent plus vive, plus brûlantes, comme réveillées trop violemment d'un sommeil peuplé de merveilles.

Désillusion brutale, dur retour à la réalité. Mais la vie ne s'arrête pas, le monde tourne, et le soleil se lève et se couche, comme si rien ne venait d'arriver. Comme si son cœur ne gisait pas dorénavant à ses pieds.

Incompréhension.

Vide.

Elle doit continuer. Coûte que coûte. Se battre encore et encore.

Toujours.

Peu à peu, Noor baissa la tête. Le sanglot coincé dans sa gorge jaillit, suivit d'un autre. Des larmes coulèrent. Recroquevillée sur elle-même, seule dans sa cuisine, elle pleura, le corps secoué par des plaintes de douleurs incontrôlables.

Combien de temps resta-t-elle ainsi prostrée ? Elle-même ne le sut jamais. Mais lorsqu'elle eut vidé le stock de ses larmes, lorsque la douleur se fit moins vive, lorsqu'elle put enfin respirer et contrôler les tremblements de son corps, elle se sentit bien. La tristesse, la colère et le sentiment d'injustice étaient toujours présent, tapis au fond de son être, prêt à ressurgir à la moindre occasion, mais au moins, elle savait qu'ils lui laissaient un moment de répit. Alors Noor prit la tasse, et, après une hésitation, la reposa dans le fond du placard avant d'en piocher une autre.

Paris 2084 [En pause définitive désolé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant