Chapitre 7 : Noor

58 12 27
                                    

Il était midi pile lorsque la jeune infirmière passa d'un pas rapide le portail électronique du Centre. Elle avait la tête ailleurs et les yeux dans le vague. Son esprit était encore plongé dans le souvenir du film qu'elle avait vu il y a à peine quelques heures. Cependant, une voie - c'était toujours la même – la tira de sa rêverie :

- Noor, Noor, Noor ! combien de fois devrais-je le répéter ! Tu dois arriver à midi moins le quart et non pas à midi ! Dieu de Dieu ! tu dois faire manger nos pensionnaires !

La jeune femme se retourna.

- Oh, bonjour Laetitia ! Je me dépêche ne t'inquiètes pas !

- Ne pas m'inquiéter, ne pas m'inquiéter ! elle leva les yeux au ciel. En voilà une bonne...tu t'inquiéterais c'est sûr, si tu étais directrice d'un tel établissement... Allez, zou !

Noor se pressa donc d'ouvrir son casier, et d'y fourrer ses quelques affaires.

Ensuite, elle suivit la directrice, qui, de ses petites jambes replètes, fonçaient sans se soucier de bousculer un ou deux brancardiers.

Noor devait presque courir pour réussir à tenir l'allure. Voyant sa patronne aussi rouge et aussi pleine de colère, la jeune infirmière ne put s'empêcher de la comparer à un taureau en furie, comme ceux qu'elle avait jadis observée, terrifiée, à la ferme qu'elle avait visitée avec sa classe de CM2. C'était il y a bien longtemps. Elle eut un petit pincement au cœur, en se souvenant de la manière dont s'était terminé cette aventure. Elle avait fini les quatre fers en l'air, dans la boue immonde des cochons. Les rires des autres l'avaient blessé plus qu'elle n'en laissa ce jour-là paraître. Et cette mésaventure avait alors rejoint la petite collection de blessures qu'elle gardait bien secrètement dans son cœur, claquemurée derrière une ou deux portes de timidité et de je-m'en-foutisme. Et Noor savait qu'elle était encore là, avec les autres et plus encore, dans les locaux poussiéreux de son âme.

Les deux femmes arrivèrent bientôt à la salle commune où comme chaque jour, une centaine de pensionnaires mangeaient sans faim l'habituel plat de pates aux jambons du midi. Une femme, les cheveux lisse et d'un roux flamboyant et les ongles parfaitement manucuré, s'avança vers elles, toisa la jeune infirmière de toute sa hauteur (Noor lui arrivait à peine à la poitrine) avant de s'adresser à elle d'un ton très peu amène :

- Noor, tu es en retard. Va prendre ta place à la table 76. Fred attend depuis un quart d'heure de pouvoir installer Mme Bernard. Tu devrais avoir honte...

- Je dois faire manger Mme Bernard ?!

- Oui, tu n'as pas entendu ? Tu veux que je répète ?

Noor fit non de la tête, sans chercher à cacher son scepticisme :

- Vous faites manger Mme. Bernard ici, et pas dans sa chambre ? Mais elle est trop faible, et puis, elle risque de s'exciter et de piquer une autre crise ! Cela pourrait lui être fatale. Hum...vous ne croyez pas ?

La femme rousse haussa un sourcil réprobateur et se prépara à répliquer, mais Laetitia l'arrêta d'un geste, avant de prendre elle-même la parole, d'un ton pas moins sévère.

- Noor, vous faites ce que l'on vous dit, un point c'est tout. Ce n'est pas à vous de prendre de tels décisions, et il serait peut-être temps que vous commenciez à faire confiance à vos supérieurs. Votre attitude n'est pas acceptable. Faites ce que vous dit Cécile.

La jeune femme ne riposta pas cette fois, sachant bien que Laetitia n'avait pas pour habitude de changer d'avis. Elle se dépêcha donc de se diriger vers ladite table, où deux places vides les attendaient, elle et la pensionnaire.

Paris 2084 [En pause définitive désolé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant