Il n'y avait personne sur la rive. L'étendue verte jaunie découpée par l'eau ne portait pour mouvement que le balancement imperceptible de certaines herbes courtes. De fins troncs sur le sol avaient séché déjà et traçaient des lignes sur la brûlure matinale qui tombait du ciel. La forêt s'était réveillée dans le calme pour ne trouver qu'elle-même.
Mais une des lignes, parterre, se déplaçait. Un tronc pas plus grand que les autres. Au-dessus, dans les feuillages, on pouvait entendre le bruissement de quelques petits animaux qui partaient pour une journée de chasse. S'ils baissaient la tête, ils apercevaient le trait noir du tronc qui bousculait les angles en croisant ses semblables inanimés.
Le fleuve, un peu plus loin, stagnait presque et ne reflétait que les tâches de soleil. Il avait l'épaisseur et la placidité de l'huile. Sa limite avec la terre était trouble par endroit et plus nette à d'autres. Depuis ceux-ci, le ballottement du tronc paraissait d'avantage régulier.
Il y avait quelque chose de verticale sous le bois, semblant le soutenir. Cinq ou six formes, en fait, étaient dessous à le porter. Ça avançait et tournait parfois, toujours en direction du fleuve. Une même forme ne soutenait pas le tronc, mais était simplement là, de côté, à côté d'une autre. Et puis une autre là-bas, et quatre plus loin dans l'herbe. L'étendu était parsemée de figures droites de toutes parts. Elles se déplaçaient. Inexorablement, elles allaient vers le cours.
D'en-haut, les lignes se croisaient ; d'en-bas, aucune ne se rencontrait. Et très près, d'assez pour que les silhouettes prennent une apparence, tout se compliquait. Car il ne s'agissait plus de formes simples, mais de créatures aux couleurs impossibles.
Charlie, Rebecca et Camille étaient masqués. De pied en cap, leur corps était couvert du jus foncé de Genipa qui déjà bleutait. Ils étaient ornés en entier ; du tour du cou aux coiffes, des jambes aux autres membres qui portaient la pirogue. La manière qu'avait la lumière de se refléter sur leurs bras enserrés de perles, tirés en l'air pour soutenir l'embarcation, leur prêtait des gestes bien plus amples que ce qu'ils n'auraient dû être. Ces mêmes gestes que la lumière entre les feuilles saccadait, saccadait, saccadait, finirent par déposer le massif morceau de bois dans l'eau tiède. Sans plus de mots qu'à l'arrivée, trois silhouettes droites se détachèrent du bord et dérivèrent.
- On va pouvoir passer, maintenant ? demanda Charlie.
- Oui, répondit simplement Camille.
Ils jetèrent un dernier coup d'œil en arrière, vers l'étendue. Sur la rive, il n'y avait personne. Les trois aux visages figés la fixèrent longtemps. Sur leurs masques se reflétaient les ombres des bras, des jambes, des corps pliés de ceux qui dansaient là-bas.
*
* *- Je vois deux personnes étranges et une autre comme moi, dit Charlie, qui se sont posées sur le dos du Grand Serpent.
- Quoi ? demanda Rebecca, ne comprenant pas ce que son amie venait de dire.
- Je suis un oiseau, non ?
Le masque de Charlie était fait de plumes d'ara aux reflets violacés, parfois roses. Elles étaient disposées en rayons autour de ses yeux et recouvraient tout son visage jusqu'aux cheveux dans lesquels certaines étaient encore mêlées et descendaient la cascade lisse entre ses omoplates. Ses mains en étaient également recouvertes, toutes attachées à de fins bracelets. Ses bras étaient entourés de longs colliers de perles de bois où parfois encore une plume était coincée, et d'autres lourds colliers pendaient de son cou jusqu'à son ventre. Sur ses hanches, un bandeau soutenait des cordelettes colorées.
![](https://img.wattpad.com/cover/38079159-288-k465796.jpg)
VOUS LISEZ
Le chant du colibri
AdventureCharlie Tiwaia et sa collègue Rebecca sont archéologues au Honduras. Elles vont suivre leur ami Camille alors que celui-ci, ethnologue, croit avoir retrouvé les traces d'un événement historique important dont le souvenir ne persiste aujourd'hui plus...