9. La langue des oiseaux

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Camille ressortit furieux de la hutte du chamane. Il rejoignit ses deux amies vers les hamacs dans lesquels elles se remettaient de leur expérience mystique de la veille.

- Il n'a rien voulu te dire ? demanda Charlie.

- Il dit qu'il ne sait pas, qu'il comprend à peine le chant, qu'il ne s'agit que de musique pour la transe. Mais je sais qu'il ment, je le connais. Je l'ai observé pendant que je sifflais.

- Tu en es sûr ?

- Oui.

- C'est tout ? intervint Rebecca.

- Non. Il m'a dit que je n'avais qu'à vous demander ce que vous avez vu. D'après lui, vous en savez autant que lui.

Rebecca et Charlie se regardèrent.

- Bah on t'a déjà dit, reprit Rebecca. C'était flou. Il y avait des couleurs et des formes bizarres, des animaux, des personnages chelous... Tu as vu autre chose, Charlie ?

Celle-ci ferma les yeux pour visualiser à nouveaux des bribes de la vision.

- Des plantes, des bateaux, des étoiles aussi. Je vois pas trop ce qui pourrait nous aider à comprendre le chant.

Camille s'adossa contre un des piliers de bois qui tenait le toit de feuilles et soupira. Charlie se leva de son hamac pour aller s'assoir sur celui où se trouvait Rebecca. Cette dernière se redressa en tentant de garder l'équilibre et s'assit à côté d'elle pour mieux voir Camille qui jetait des petits cailloux sur le pilier d'en face.

- Je l'ai entendu le siffler, ce matin, dit-il.

- Quoi ?

- Le chant. Il l'apprend. Il veut le connaître par cœur.

Charlie fronça les sourcils.

- Et si on lui apprenait, il nous dirait ce qu'il signifie ?

- Non, c'est trop tard. Il le connaît déjà presque en entier. Il a une très bonne mémoire.

Après avoir fait rebondir quelques autres cailloux contre le pilier, il finit par se relever.

- Bon, allons manger. Je repasserai vers lui cet après-midi. D'ici-là j'aurais peut-être trouvé un moyen de lui faire cracher le morceau.

Ils rejoignirent le chef Liebre un peu plus tard, qui les invita à prendre place à ses côté pour goûter le manioc et le singe.

- Tu sais, il t'aime bien, dit Liebre, s'adressant à Camille à propos du chamane. S'il ne veut rien te dire, c'est parce que ce sont des choses dangereuses. Il connait bien le monde des esprits, il sait quand certaines choses doivent rester secrètes.

- Je sais, souffla Camille.

Après le repas, ils fumèrent du tabac dans de longues pipes et tentaient à intervalle régulier, d'imiter Rebecca qui faisait des ronds de fumée avec sa bouche.

Le tabac était principalement utilisé pour un usage médical parmi les populations de la forêt : la fumée était soufflée sur les corps malades où sur les endroits qui faisaient souffrir. Mais depuis le passage des colons, l'usage récréatif avait été adopté chez certains peuples, et il n'était pas rare qu'au village, on fume après avoir mangé.

Camille les laissa à leurs tentatives qui pour l'instant n'avaient pour effet que de produire un épais nuage les entourant. Il partit en direction de la hutte du chamane, déterminé à convaincre le vieil homme de lui expliquer ce qu'il y avait dans ces sifflements.

Le chant du colibriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant