27. Bruit sourd

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Charlie agrippa le poignet de Rebecca puis le repoussa aussitôt. Elle fixait les hauteurs bourdonnantes qui faisaient grincer le chant. Elle voulut hurler mais sa gorge se noua d'un coup sec, ce qui lui fit l'effet d'une décharge électrique. Elle courut sur quelques mètres mais tituba et s'écroula un peu plus loin. Le toit de la forêt se refermait sur elle et l'étouffait.

À quelques pas, ses amis s'agitaient et crachaient des sons dans sa direction. Elle se mit à genoux et les appela. Mais au moment où l'air de ses poumons passa son larynx, ce dernier se contracta si fort qu'elle en perdit l'équilibre. Elle mit la main à son cou et regarda, sonnée, ses deux amis qui plongeaient devant elle.

- Charlie ! appela, inquiète, Rebecca. Charlie, calme-toi !

- Tu nous entends ? voulut s'assurer Camille.

Les sons douloureux qui sortaient de leurs bouches l'agressaient. Ils lui hurlaient des cris d'animaux travestis qui bientôt devinrent diffus. Elle essaya une nouvelle fois de leur parler, mais le plus fin filet de son souffle tiède la brûla comme de l'acide. Plus elle les écoutait, moins elle les entendait. Leurs voix se brouillaient tandis que leurs lèvres remuaient. Elles se noyaient dans la lymphe sonore de la jungle.

Ils lui attrapèrent doucement les bras et la regardèrent, mi-stupéfaits, mi-apeurés. Elle ne comprenait pas ce qui leur arrivait ; pourquoi ils s'étaient mis à pousser des cris. Ni pourquoi ces oiseaux continuaient à chanter le chant. En fait, elle ne l'entendait déjà presque plus. C'était le bruit du fond des arbres.

Tout était redevenu calme entre leurs regards. Charlie scella sa bouche. Elle savait qu'elle pouvait leur faire confiance et qu'ensemble ils trouveraient ce qui leur arrivait. Rebecca lui adressa un de ses sourires crispés qu'elle ne savait dessiner que dans les moments de malaise.

Ils restèrent accroupis le temps que tout retombe. Seul le bourdonnement dans les arbres persistait. Alors, Rebecca s'approcha encore de son visage, la regarda droit dans les yeux, et poussa le cri le plus aigüe et difforme que Charlie eut entendu.

Son cœur voulu s'échapper de sa poitrine et, affolé, se jeta violement sur ses parois intérieures pour les briser. Elle comprenait. Ce n'était pas eux trois. C'était elle. Seule. Rebecca et Camille lui adressaient des expressions épouvantées. Leurs visages tordus par l'angoisse qu'elle leur provoquait, devenaient des masques comme ceux qu'ils avaient portés. Deux silhouettes masquées qui jouaient sous les ombres et hurlaient dans la canopée.

Elle se concentra. Elle savait qu'elle imaginait tout ça, qu'ils essayaient juste de l'aider. Ses yeux se rouvrir et elle vit à nouveau les deux visages qui lui étaient si familiers. Mais leurs cris toujours plus durs ne lui étaient plus supportables. Elle se coupa de ce carnaval assourdissant et boucha ses oreilles avec ses doigts.

Quand Camille et Rebecca virent son mouvement, ils se turent. Ils s'assirent juste devant elle, un peu plus loin. Ils ne parlèrent plus quand elle écarta ses mains de sa tête. Rebecca fit un signe vers sa propre bouche. Elle chuchota le nom de son amie. Charlie ne pouvait plus les comprendre. Ni parler.

- Elle ne nous entend pas ?

- Si, mais...

Ils étaient les deux à quelques pas d'elle ; la regardèrent. Elle tremblait, comme eux. Quelle histoire étaient-ils en train de se raconter au milieu de la forêt humide ? Des gouttes lourdes pendaient aux feuilles et tant de temps coulait tandis qu'elles s'allongeaient... Avant qu'elles ne s'écrasent...

Ils la regardèrent se caresser les oreilles, juste devant eux. Derrière l'épais bourdonnement.

- Mais quoi ?

Le chant du colibriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant