Yamileth se rua dans le studio, suivie par son frère Diego qui portait un carton contenant divers câbles. Ils étaient en retard pour leur émission de fin d'après-midi et ils devaient encore brancher la moitié des micros. La jeune femme de vingt-et-un ans posa le foulard orné de plumes qu'elle portait dans les cheveux, sur la table qui faisait face à la « bulle » d'enregistrement – une petite salle isolée acoustiquement et séparée du reste du studio par une large vitre dans le mur.
- Dépêche ! conjura-t-elle son frère. On lance dans quatre minutes.
Diego était de deux ans son ainé. Il avait toujours été le plus calme des deux, même si ça sœur ne devenait réellement une pile électrique que lorsqu'elle stressait, ce qui arrivait plus souvent ses derniers temps. Il était le seul de la famille à poursuivre des études et avait dû se précipiter comme d'habitude après son cours de droit du travail pour rejoindre le studio, non sans être passé auparavant chercher ses câbles encombrants.
Il lâcha le carton par terre et contempla le studio de radio que l'université de Tegucigalpa leur mettait à disposition et qu'ils avaient équipé de A à Z. Tenir la radio étudiante leur demandait énormément de travail, mais ils en étaient très fiers et ils y tenaient beaucoup. C'était pour eux une voix nécessaire au milieu de la corruption qui rongeait le paysage politique et médiatique.
Un foulard presque similaire à celui de Yamileth vint atterrir sur les câbles dans le carton. Sa sœur s'était mis en tête de l'habiller sur le modèle de son propre look que beaucoup pourraient qualifier d'excentrique mais que cette dernière préférait définir comme « esthétiquement harmonieux ». Elle aimait retaper de vieux tissus et y incorporer des éléments aussi divers qu'hors du commun dont la provenance était la plupart du temps soit les étales mal surveillées du marché, soit les arbres des parcs. Les bases de couture apprises dans l'école d'art qu'elle avait quittée au bout d'une année seulement faisaient le reste du travail.
- C'est bon, t'as tout branché ? demanda-t-elle de sa voix grave.
- Trois secondes, j'ai même pas encore enlever mon pull et il fait mille degrés. On sera en retard de toute façon, alors relax.
Elle n'écoutait déjà plus sa réponse, trop occupée qu'elle était à lancer les différents logiciels d'enregistrement sur l'ordinateur.
- Bon, de toute façon les vieux micros sont encore connectés, déclara-t-elle. On les remplacera après. Je lance l'intro, c'est à toi dans huit secondes !
- Quoi ?! Mais attends !
Il se rua dans la bulle et failli glisser et passer sous la table en arrivant en face de Yamileth de l'autre côté de la vitre.
- Bah quoi, glissa-t-elle juste avant d'activer le micro de son frère. Tu m'as demandé trois secondes et je t'en ai donné cinq de plus. Tu vas pas te plaindre non plus !
Elle sourit et lui fit signe de la main que son micro transmettait, l'empêchant ainsi de riposter.
Le sujet du jour concernait la vie étudiante et notamment associative et la difficulté que les différents groupes militants avaient à défendre leur cause dans un contexte de violence invivable. La menace que représentaient les maras en ville n'était inconnue de personne et le manque d'actions concrètes des dirigeants politiques ne faisait que les renforcer. À cela s'ajoutait une police et un gouvernement pourri de l'intérieur, et le résultat était l'assassinat ponctuel de militants, parfois dans des circonstances peu claires.
Yamileth et Diego auraient rêvé de pouvoir parler un peu plus des projets que montaient les étudiants ou de musique, et un peu moins d'une réalité que tout le monde connaissait trop bien. Mais il faudrait ouvrir encore quelques écoles avant que ce soit possible... Ils avaient fait le choix d'utiliser leur espace de parole pour essayer de changer au moins un peu les choses et ils voulaient le faire au maximum, au moins tant que leur audience était assez maigre pour qu'on ne se préoccupe pas trop d'eux.
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Le chant du colibri
AdventureCharlie Tiwaia et sa collègue Rebecca sont archéologues au Honduras. Elles vont suivre leur ami Camille alors que celui-ci, ethnologue, croit avoir retrouvé les traces d'un événement historique important dont le souvenir ne persiste aujourd'hui plus...