Len

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Ce fût la première fois depuis plusieurs années que j'avais dormi autre part que dans mon lit, dans cette chambre, cette antre, cette pause dans un quotidien aussi insipide que mouvementé.

Il n'y avait pas mes draps à l'odeur âcre d'une nuit larmoyante, ni mon bureau enseveli de papiers sans vraiment d'importance. Il n'y avait pas ce verrou, ce déclic qui annonçait une chute d'émotions, une couche de béton de plus sur cette muraille. Je n'avais pas cet ensemble indispensable, cet équipement anti attaque de panique.

Lorsque les quatre 0 s'affichèrent, mon coeur s'effrita, des cendres d'angoisse tombèrent au fond de mon estomac. Peut être allais-je mourir. Peut-être que mes cris allaient de nouveau transpercer l'esprit d'autrui. Certainement que Kuro finira broyé, fracassé, secoué par mes spasmes sonnant comme un prisonnier qui brise la pierre à intervalles réguliers.

Nous avions renoncé au jeu au moment où son corps étonnamment confortable s'était affalé sur le mien, moucheté de blessures. J'aurais voulu l'avertir qu'il s'appuyait sur un hématome qui m'arrachait un cri intérieur, mais il était tellement heureux.

Il l'était tellement, tellement que la Lune aurait pu cesser de luire, je n'en n'aurais eu que faire. Tellement que la Terre aurait pu se briser, je n'en aurais rien vu. Tellement que mon coeur aurait pu s'arrêter, que j'aurais estimé avoir déjà vu le Paradis.

C'était si vaste, l'Amour. Kaléidoscope intemporel, aux infinités universelles. Rien dans mon monde n'avait été si teinté, si rouge sang, jaune hématome, bleu encre, vert amertume, rose intimidé. Je n'avais jamais été si coloré.

Et dans cette renaissance, je pus toucher, ressentir, les couleurs autour de moi. Je pus changer, agir, exprimer.

Peut-être que cette soirée était ma dernière, bien tant mieux. Je n'étais pas mort, je n'avais plus peur de vivre.

- Bonne nuit, baya Kuro, après un "Aïe" camouflé, provoqué par un choc contre le mur.

- Bonne nuit, dis-je pour la première fois, le regard posé sur le corps de Kuro plaqué contre le mur.

Il était ridicule.

* * *

Je partis dès que le soleil apparut.

Ce fût un combat atroce de forcer un crâne comprimé et des jambes en coton de se lever en silence avant 6h30.

Je fus surpris que mes efforts à réduire mes mouvements au silence était inutile, vu que Kuro semblait éveillé depuis un temps.

- Kuro. Son nom racla au fond de la gorge.

- Len.

Il semblait s'amuser de cette situation. Son sourire était incroyable, mais en toute franchise, sa tête au réveil était hilarante. Mon rire s'évapora avec hâte. Je voulais rester dans ce lit. Dans cette chambre. Connecté pour toujours à ce réseau de vie polychrome.

- Je dois rentrer chez moi.

- Je vois ça.

Il ne paraissait pas triste de mon départ.

- Ma soeur. Léa.

- Des gens t'attendent.

Il avait raison. Des gens m'attendaient, je faisais parti de ce quotidien, aussi monotone était-il, j'étais en vie, je la possédais. Même avec l'idée scellée au plus profond de mon âme de n'avoir aucun mérite à vivre, même avec ça, j'étais là, et c'était tout.

Je souris à Kuro.

C'était minuscule. Infime. Une poussière, pas exceptionnel.
Si je venais à mourir, je n'aurais pas d'hommage national, si je venais à souffrir, je compterais juste sur moi-même, ce sera catastrophique, personne ne m'aidera à respirer. Mais je serais en vie.

Je suis malade ( de vivre )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant