Kuro

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- Un film d'action que je pensais ! Je me fourrais les doigts dans l'oeil ! J'étais partagé entre le rire et la honte. J'ai lutté tant bien que mal contre les larmes, mais la mort de la petite fille m'a mise K-O !

- Quel sensible tu es, se moqua le psychologue avec gentillesse.

- Je ne suis pas sensible, ce film est triste, c'est tout.

- Len a pleuré, lui ?

- Non, mais il ne pleure pas pour ce genre de choses.

L'homme afficha un air spectique, qu'il s'empressa de quitter pour éviter mes revendications. Il dandina ses hanches pour plus de confort au fond de son gros fauteuil vert, ajusta sa vieille lampe rétro, et s'arma de son calepin doré. Il hocha la tête comme signe qu'il était prêt, ses lèvres fines esquissaient un faible sourire.

- Parlons de tes scarifications.

L'air serein que j'adoptais laissa place à un rictus grinçant, un visage déformé par la peur, le dénis, des traits renfrognés qui bloquaient ma mâchoire.

Le psy' remarqua immédiatement mon malaise face à ses mots, et tenta de se donner une tête moins solennel.

- Tu te souviens de l'accord que nous avons eu ? Discuter de-...

- Oui, je m'en souviens.

- Je vais commencer avec de simples questions, qui vont te paraître stupides.

- Comme toutes vos questions.

- Depuis quand te scarifies-tu ?

- Eum.. Depuis 4 ans environ, un truc comme ça.

- Cela fait beaucoup de temps. Tu as déjà eu des périodes où tu as arrêté ?

- ..Ouais, mais je ne veux pas vraiment en parler.

- Si tu comptes te débarrasser de moi facilement, il va falloir accélérer les choses. Bien-sûr, tu peux toujours me refuser.

Il fit un énorme sourire, avec des pattes d'oie, et ride du lion.

- J'ai arrêté peu de temps après avoir rencontré Emma.

- Emma ? La jeune fille qui s'est suicidée il y a bientôt 1 an, oui, je me souviens l'avoir brièvement évoqué juste avant la fin de notre rendez-vous. Nous devions justement en parler. Tu sembles... Très impacté par sa mort.

- Qui ne serait pas impacté par la mort de son premier amour, ha ha.

Mon rire sonnait vraiment faux.

Il posa son calepin et son stylo bille sans capuchon sur le bureau, un regard vers mon corps tremblotant qui semblait peiné. Il aurait pu presque avoir l'air touché par mon état si son visage n'avait pas gardé les traits figés.

- Nous avons été très brefs sur ce moment de ta vie, c'était " juste une fille maintenant morte ", expliqua-t-il en faisant des guillemets avec ses doigts, j'aimerais approfondir ce point. Être certain que tu ais fait le deuil, et que sa mort n'accroies pas les possibilités de passage à l'acte.

- Est-ce que vous pouvez arrêter de répéter à tout bout de champ ce lexique de la mort ?

Je me remuai sur ma chaise, absolument pas à l'aise.

Je revoyais ses longs cheveux filasses couleur corbeau ; ils pendaient sur chaque côté de ses joues pâles, ses mèches balayaient son regard bien souvent triste : Deux billes ébènes qui se disputaient une flamme de bonheur. Ses yeux supportaient de lourdes cernes violettes qui écrasaient ses traits, gravaient une fatigue, une détresse constante à son visage. Elle souriait peu, soi-disant honteuse de son appareil dentaire, mais certainement aussi de ses problèmes. Il fallait qu'elle disparaisse, qu'elle laisse son corps qui tenait tout juste sur ses deux jambes maigres et flageolantes, qu'elle le laisse se traîner par les autres, par les attentes et les envies des autres, juste pour qu'on oublie, que derrière ses cheveux et ses vêtements sombres, elle pleurait.

Je suis malade ( de vivre )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant