Kuro

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- Kuro.. Kuro..

Sa voix grave, pourtant pas encore totalement descendu dans les plus basses octaves, résonna dans mon sommeil jusqu'à mon réveil.

- Len ? Quoi ? Il est quelle heure ?

Il s'empara de son portable pour me le coller au visage, la luminosité aveuglante à m'en brûler la rétine, mais les chiffres 2:26 m'avouèrent l'heure affreusement tardive.

Avant toute intervention de ma part - notamment ronchonner en retournant sous la couette - il alluma la lampe de chevet pour me dévoiler une bonne dizaine de boulettes de papiers répandues sur le sol, et son air découragés gravé de deux grosses plaques noiraudes sous ses yeux.

- Qu'est-ce que tu...

- Je veux peut-être porter plainte, déclara-t-il d'une voix de plusieurs teintes différentes, un peu de tristesse, de fatigue ou de colère..

- Quoi ? Peut-être ?

Je me massais les paupières, une fois relevé.

Il était en caleçon et t-shirt et puait la sueur.

- Je ne suis pas sûr que porter plainte soit nécessaire...mais..

- Pas besoin de te justifier, je lui pris sa main, si tu en ressens le besoin, fais-le.

- Je ne sais pas quoi dire pour porter plainte. Il faut que je témoigne, je l'ai vu sur internet, mais je ne sais pas quoi dire. J'ai essayé d'écrire des souvenirs mais.. Je ne trouve rien de convaincant.

Je ramassai une feuille chiffonnée au hasard et la lis : Il racontait en quelques lignes des insultes et des coups subit récemment ; j'en eu un haut-le-coeur.

- Le plus important ce n'est pas de les convaincre, mais de prouver la gravité des faits. Dis-moi les pires choses que tu as du subir à cause du harcèlement, je vais les synthétiser du mieux que je peux.

Et j'avouais que dans mes bonnes attentions, je voulais savoir. Savoir la vérité pure et dure, la vérité blessante, ne plus rester aussi aveugle.

Alors il me décrit trois événements de sa vie, causés par le harcèlement inébranlable des lycéens, et tandis que mon coeur me serrait et que mes cordes vocales saignaient, j'appris qu'il avait pu subir bien pire dans ses années collège.

Le premier, le plus récent, une altercation entre des terminales alors qu'il rejoignait le toit de bon matin. Il l'avait contraint à les suivre dans un coin reclu du lycée, une impasse isolée entre les deux bâtiments, et de là ils avaient décrétés leurs actes au nom d'Oliver. J'eus de véritables pulsions meurtrières. Il avait sûrement tenté de me foutre les jettons, sans s'imaginer le mutisme de Len.

Le second, un peu plus lointain, racontait un incident durant un cours d'éducation physique, un regroupement autour de lui pour l'humilier, non seulement seul à seuls, mais aussi bien devant toute la classe. Je me souvenus de cet incident, je n'imaginais en aucun cas que cela avait pu être prémédité..

Et le dernier remontait bien avant mon arrivée ici.

- C'était vers le mois de Mai, commença Len, bien affaibli après les récits précédents, j'avais été invité à l'anniversaire de Célia. Bien-sûr, je ne voulais pas y aller, mais Léa et Maddie, une fille qui luttait contre le harcèlement, m'y ont forcés. Elles sont venues avec moi. Au début, tout se passait bien. Parfois, on venait me parler, et l'alcool rendait les gens indulgents envers mes rejets. Je me sentais bien... Il afficha un sourire triste et reprit. Les filles ont voulu aller aux toilettes, je les ai attendu dans la cage d'escalier, il n'y avait personne. Puis Célia est arrivée.. comme si elle m'avait espionné depuis le début.. Elle m'a dit comment on se suicidait. Elle est venue près de moi, avec un grand sourire, et elle m'a tout expliqué. Elle m'a dit que je devais me suicider. Parce que c'était pour le bien de tous. Que ça aiderait Rose, que ça me rendrait différent. Je lui ai dit que je ne voulais pas mourir, que mon psychiatre m'avait dit qu'il existait quelque chose dans ce monde appelé espoir. Alors elle m'a tendue une main. Elle m'a dit que l'espoir c'était croire que les gens pouvaient finir par m'aimer comme j'étais. J'y croyais. Puis.. Puis des autres personnes sont arrivées. Je n'ai pas compris..

Je suis malade ( de vivre )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant