Rêve 5 - À sa place

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C'est un rêve que j'ai fait pendant environ un ou deux mois chaque nuit quand j'étais au collège, une époque où j'étais incessamment harcelé.

==> Être harcelé est la source d'un stress important qui ne lâche pas l'inconscient et pourrit les pensées. C'est épuisant et angoissant. Il n'est pas étonnant que le sommeil s'en soit trouvé perturbé. Par ailleurs, le collège est une période de très grande instabilité affective et de grande mutabilité physiologique et intellectuelle comme émotionnelle et l'impact d'un harcèlement y est particulièrement fort - et cependant les prédateurs prépubères sont légions.

Je me trouve dans une voiture (la voiture de mon grand-père, qui est décédé dans cette période), à l'arrière, avec mes sœurs (la plus grande à l'avant, la plus jeune au milieu) et mon petit frère (ainsi que mon autre petit frère après sa naissance dans les bras de ma plus jeune sœur ; je ne sais pas si ces détails sont importants mais je précise au cas où) et le véhicule est dans une pente. Ma mère sort alors pour aller parler à une voisine sans prendre le soin de mettre le frein à main. Alors, la voiture commence à rouler droit dans un mur au bout de cette pente.

==> Première remarque : ton inconscient réagissait à ce stress non en te soumettant à nouveau à la situation de harcèlement solaire mais en transposant dans un cadre familial a priori plus sécurisant puisque multigénérationnel et donc solide. Sauf que le grand-père mort est là via sa voiture, signe annonciateur de l'événement funeste à venir puisqu'il est décédé et que sa voiture semble vouée à le rejoindre. Toute ta famille t'entoure mais personne ne communique avec personne. Ce ne sont que des pantins dans ton rêve. Personne ne s'occupe de personne, à l'exception du bébé objet. Même ta mère vous abandonne pour une inconnue, ne prenant pas soin de vous (ta formulation n'est pas accidentelle).
Deuxième remarque : tout le monde a une place dans cette voiture, toi y compris, qui dépend de la place dans la fratrie. Expérience répétée à l'état de veille, peut-être, mais, symboliquement, quelque chose me frappe : tes soeurs tentent de se substituer à ta mère défaillante, la petite en pouponnant - mais apparemment sans actes, juste dans une passivité de poupée - et le grande copilotant, mais sans paraître assurer non plus. Il n'y a pas de père, pas d'adulte. Le véhicule qui vous fait avancer est sans conducteur, sans contrôle, sans espoir, sans sens. Une métaphore de la vie où le groupe n'est pas une ressource, n'est pas une force, puisque les adultes sont défaillants, absents, et que, au final, tu es seul : victime du groupe, victime des événements. C'est évidemment une représentation symbolique de ta situation de harcèlement scolaire, mais pas seulement.
Troisième remarque : ton inconscient n'a pas dénaturé ta vision de ta famille ; il l'a fait correspondre. Or, tu te situais toi-même comme secondaire et inutile au sein de ce groupe, dédoublement surnuméraire d'un grand-père mort et, surtout, d'un père absent. Ta passivité victimaire a probablement eu pour effet de te faire adopter des attitudes passives et de proie soumise, ou du moins vacante, disponible pour les harceleurs. Un harceleur est évidemment une sorte de sociopathe qui porte la responsabilité pénale et morale du harcèlement, mais la victime porte aussi une part de responsabilité psychologique dans l'établissement de cette relation sadomasochiste : le défaut d'estime de soi, le sentiment d'être coupable ou inutile, l'absence de sens à sa vie sont des fragilités qui attirent et stimulent les harceleurs.

Là, quatre fins s'offraient à moi :

==> Ce qui montre au passage, via la récurrence du rêve et la présence d'alternatives que, malgré ta passivité, tu n'acceptais pas cette situation comme une fatalité. Néanmoins, en conservant une forme de passivité, tu conditionnais ton salut à l'action d'autrui. Tu attendais un sauveur, un être qui viendrait te rendre à ta vie, te donner la valeur d'un être sauvable. Ce que tu n'assumes pas faute d'estime pour toi-même dans ce rêve puisque tu te fonds au groupe.

- La voiture s'écrasait en contrebas et nous compressait tous, nous tuant sur le coup. C'était la fin la plus fréquente.

==> Toujours cette logique attentiste avec personne qui ne réagit. Vision fataliste liée à la dépression qui s'installe en cas de harcèlement, la pente soulignant le caractère inéluctable et la cellule du véhicule indiquant l'implacabilité d'une vie dénuée de possibilité d'agir, de décider, de conduire, de s'échapper. Le fait que tu associes ta destinée tragique avec celle de ton petit monde familial dénote que tu étends ton statut de victime à tous tes proches : tu sens obscurément que quelque chose s'acharne sur ta famille, le silence et le tabou familial sur ces événements rapprochant ces deux situations de mal-être imposé.

- La voiture s'écrasait, mais seul l'avant se compressait et seule ma plus grande sœur mourait. C'était la deuxième fin la plus fréquente.

==> Même idée, avec cette inexistence de l'adulte inapte et qui disparaît. On peut relier ça également au sentiment de culpabilité que ressent une victime de harcèlement : en effet, une proie a toujours la superstition inconsciente de se croire responsable de son sort et contagieuse, la révélation de l'agression réduisant le confesseur au rang de nouvelle proie du prédateur. D'où le silence et la contagion mortelle de ton mal-être, en particulier auprès de ceux qui devraient être avertis pour pouvoir t'aider.

- On sautait de la voiture et on survivait tous, sauf le véhicule qui s'écrasait tout de même.

=> Un sursaut de groupe peut permettre au passage ton sauvetage, mais ce serait presque un miracle, tant la situation est désespérée, la casse inéluctable. Même en échappant aux conséquences les plus graves, des séquelles, des pertes importantes sont à prévoir, l'ancien monde de la voiture dynastique laissant place à la fragilité de l'inconnu. Tu es sauvé mais exposé à d'autres dangers.

- Ma grande sœur à l'avant réussissait à freiner et à tous nous sauver, y compris la voiture. C'était la fin la plus rare.

==> Miracle parmi les miracles, un grand joue son rôle de sauveur. Tu oses à peine t'autoriser à l'espérer. Mais tu l'espères quand-même, cette main secourable, cette intervention salvatrice, cette protection d'un plus grand. Car tu es noyé dans le groupe, scolaire comme familial, et tu ne sais quelle est ta place car personne ne semble tenir à toi. Représentation triste de l'isolement, de l'enfermement victimaire.

Voilà à peu près tout ce dont je me souviens. C'était un rêve extrêmement gore et morbide que je faisais sans cesse pendant des semaines, alors ça m'intéressait de savoir s'il a une signification particulière.

==> Ravi de voir que le temps a fait son oeuvre avant que tes nerfs ne lâchent ! Apparemment, tu as trouvé le moyen de te glisser sur le siège conducteur ou de te déplacer à pied ! Bravo ! N'hésite pas à jouer les éclaireurs pour les victimes de harcèlement qui sont encore coincés dans leur bolide fou !

Le fil d'ArianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant