Humour - Plaisanter et se moquer

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Un poisson indigeste...


Un après midi de ma dix-septième année, je reçois un appel. Une fille. Voix inconnue. Elle, elle semble me connaître et, le ton joueur, me demande de deviner qui elle est. Après un instant de réflexion, il me semble bien reconnaître un peu la voix de mon ex petite amie. Petit échange de banalités.


Au fur et à mesure de la conversation, elle me dit que je lui manque, qu'elle regrette qu'on se soit séparé. Elle voudrait une seconde chance. Mais voilà : notre histoire est finie, et d'une tendresse amicale déplacée, il a bien fallu comprendre que nous ne nous aimions pas vraiment. Je le lui explique.


Dramatisation de la conversation : plus qu'une envie, c'est un besoin de moi désespéré qu'elle a. Si je refuse de lui donner une autre chance, elle criera dans tout le lycée des insanités me concernant, me harcèlera et me pourrira la vie. Le souci, c'est que, avec moi, le chantage ne prend jamais. Je ne redoute pas la calomnie.


Nouveau mouvement de gradation. L'intensité est à son comble. Je tremble, j'ai des bouffées de chaleur et j'avoue que je n'ai plus tellement l'impression de gérer la conversation. Si je l'ai jamais maîtrisée... Elle me menace de se suicider. Que la vie sans moi ne l'intéresse plus et que, si je la repousse, je devrai porter le poids de sa mort. Là encore, je reste ferme. Par honnêteté pour elle, nous et moi, je tente de lui faire comprendre que notre histoire est finie et qu'elle doit tourner la page. Qu'elle n'a plus cette place dans ma vie et ne l'aura plus. Que son suicide ne me fera rien. Qu'elle seule en pâtira. Que sa mort n'est ni une solution pour elle, ni une punition pour moi. Nos chemins se sont séparés : nos vies ne sont plus tributaires l'une de l'autre.


Sur une dernière menace de suicide, elle me raccroche au nez en me maudissant...


Le souffle court, tremblant, gonflé à éclater d'adrénaline, le cœur au bord des lèvres, je tente de réfléchir. Mes pensées qui tourbillonnent ne me permettent pas de comprendre. Ai-je bien fait ? Comment savoir ? Que dois-je faire maintenant ?


Plusieurs minutes d'angoisse me rongent ainsi de leurs lames amères et... la sonnerie du téléphone retentit de nouveau. Tremblant, je décroche.


« C'est moi ! » dit-elle simplement. Un silence. Puis des pouffements et éclats de rire que ne parvient pas à couvrir le puissant « Poisson d'Avril !!! » qu'elle me jette aux oreilles. Moi, perdu, je ne comprends pas. Elle m'explique qu'elle ne me connaît pas, qu'elle a fait mon numéro au hasard et improvisé sur mes réponses. Talentueux de sa part. Talentueux mais stupide. Talentueux mais sadique. Talentueux mais traumatisant. Je décharge mon angoisse en une colère noire qui l'inonde avant que je ne lui raccroche moi-même au nez.


Fichue mémoire. Je n'avais pas remarqué qu'on était un premier avril...


Fichu ego qui m'a si facilement fait croire l'histoire de l'ex ayant des regrets...


Fichue blague méchante et cruelle dont je garde des traces amères...


***


Tant de gens s'amusent aux dépens d'autrui et ne font pas la différence entre leur plaisir et le déplaisir d'autrui. Il y a une part de sadisme et d'autosatisfaction à se sentir capable d'infliger sa puissance à autrui, mais il y a aussi une mécanique psychique que nos sociétés de l'avoir et de l'individualisme enrayent : la mécanique de la théorie de l'esprit. 


Cette capacité de l'intelligence à faire preuve d'empathie, à se décentrer pour prendre en compte un psychisme extérieur à soi se construit vers 8 ans. Et dépend donc du contexte éducatif qui favorisera le développement ou l'inhibition de cette compétence indispensable pour faire société.


Mais cette capacité peut se développer n'importe quand : il suffit que l'altérité s'impose à nous pour que nous soyons forcés de la reconnaître et d'admettre son existence. Mais, pour ça, il faut rester ouvert aux autres.

Le fil d'ArianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant