Rêve 8 - Mes mains rouges

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==> L'humain est une créature violente dont l'hypersocialisation a accru les pressions et stimulations stressantes et dont l'imagination décuple les angoisses par une multiplications des dangers et frustrations potentielles. En résulte une forte tension intérieure qui peut provoquer des accès de violence. Or, dans nos sociétés organisées, la violence est réprouvée, un tabou. Le burn-out, la dépression et le coup de folie sont des moyens de relâcher cette pression accumulée lorsqu'elle devient insupportable. Heureusement, avant de nous faire enfermer en prison ou en HP, notre esprit met en place un système de sécurité, une soupape de décompression : les rêves. Le rêve, outre un archivage et une indexation des informations de la journée, permet le traitement symbolique des traumatismes et angoisses : par des scénarios plus ou moins fantasques, la situation problématique est transposée encore et encore pour être revécue jusqu'à la purgation de l'émotion résiduelle ou jusqu'à la maturation de l'individu pour accomplir l'acte nécessaire. Bien évidemment, un tiers est parfois nécessaire pour dépasser le blocage et il ne faut pas hésiter à consulter un professionnel en cas de souffrance.



On est loin dans un futur post-apocalyptique envahi par les mort-vivants. J'ai la quarantaine et je suis assis autour d'un feu en pleine nuit avec une adolescente d'une quinzaine d'années. Elle me demande donc mon histoire et je lui raconte alors les débuts de la pandémie et de ce que j'ai fait y'a une vingtaine d'années de cela :

==> L'univers dans lequel te place ton rêve, s'il est sans doute fortement marqué par tes lectures et écrans, propose néanmoins un paradigme intéressant. Avec ce rôle, avec cette distance dans le temps, tu es toujours toi et ne l'es plus : tu peux donc te regarder en face. Te projetant dans l'avenir, tu cherches à comprendre le sens de ta vie, de ton présent, et les conséquences de tes actes. Et, manifestement, symboliquement, tes choix ont provoqué l'apocalypse, la fin du monde - de ton monde. Enfin, tu n'es pas seul. Face au feu de la connaissance, qui révèle, réconforte et détruit, tu vas à confesse te libérer de tes péchés autant que, face à cette jeune fille qui est ta cadette et ton double d'aujourd'hui, tu es en position de passeur, de transmission d'une sagesse liée à l'expérience. Cette mise en scène est ton procès en rédemption. Par ailleurs, les morts-vivants semblent constituer l'essentiel de l'espèce humaine survivante, incarnant la sauvagerie inquiétante de tous tes congénères qui n'accèdent pas à ton niveau de vie et ne sont pour toi pas dignes ni de respect, ni d'empathie, ni d'intérêt. Une certaine forme de condescendance de ta part pour tes semblables ?



J'étais chez moi et une invasion zombie a décimé le monde. Donc, toute ma famille (celle qui habitait avec moi à l'époque, je veux dire : c'est-à-dire ma mère, mon petit frère d'à peine 5 ans et ma grand-mère) excepté moi est contaminée. J'ai un fusil mais je n'ose pas les achever : c'est bien trop difficile. Alors, je décide de les enfermer chez moi et de partir je-ne-sais-où.

==> Parmi tous les humains qui existent, certains sont trop proches pour que tu les exclues de ta vie et, si tu ne les tues pas, tu ne les rejoins pas non plus. Ils s'éloignent de toi et toi d'eux. Maintenant que tu es grand, en effet, ta vie est ailleurs et la distance se creuse. Mais c'est dur, même si ça semble inéluctable.

En remontant la rue, j'aperçois dans une ruelle mon frère (le plus grand) et ses amis, poursuivis par une horde et bientôt encerclés par les cadavres. Mon frère me demande de l'aide, complètement apeuré (alors que, dans la vie réelle, il joue les caïds courageux) ; alors je m'approche et, sans hésiter, je les tue, lui et ses potes, de sang-froid, presque naturellement, comme si le seul truc à faire c'était de lui mettre une balle dans la tête. Je reprends ma route sans même me soucier des zombies qui allaient les dévorer.

==> Ton frère est humain, comme toi. Il est ton alter ego mais il a son propre groupe, sans toi. Il te précède en âge et vous a déjà abandonnés. Mais il reconnaît votre lien et tu restes son sang et il est ton frère. Tu ne peux l'ignorer, mais il t'a trahi en te laissant et tu ne peux donc réparer ce que le temps et la distance ont détruit. L'achever, c'est couper les ponts par lesquels passent et repassent la souffrance et la rancœur. C'est un peu de la vengeance pour le mal qu'il t'a fait, mais c'est aussi de la lâcheté puisque c'est irréversible et ça met fin aux culpabilités de ne pas tenter d'améliorer vos relations. Parfois, quand on se sent coincé, supprimer les gens de sa vie, comme se supprimer soi-même, ça peut être vu comme un moyen d'échapper à la souffrance.



Retour dans le futur autour du feu, et moi et mon interlocutrice sommes silencieux, la tête baissée vers le feu, et elle décide d'aller se reposer.

==> Le retour autour du feu indique que les enseignements peuvent être tirés : le silence indique que tout est clair, la tête baissée montre l'abattement coupable du remords ; l'éloignement de l'élève confirme la solitude, l'isolement qui te frappent suite à ton comportement individualiste. 



Faut savoir que j'ai une relation venimeuse avec mon frère, on est très différent et je le déteste, bien que notre lien de parenté m'empêche de le haïr totalement. Et, en me réveillant, j'ai ressenti un profond soulagement, voire une fierté certaine pour ce que j'avais accompli.

==> Les relations de grande proximité engendrent passion et haine car l'intimité rend fusionnels ou agressifs ceux qui se retrouvent collés. Entre deux frères, de plus, il y a la concurrence pour gagner la place de chouchou des parents, pour être le meilleur. Là, clairement, tu reprends le dessus et lui signales violemment que, puisqu'il a préféré ses potes à toi, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Par ailleurs, vivre ensemble cause des rapprochements, des attachements, des confidences qui font de la séparation un arrachement. Et la douleur de ce déchirement peut détruire ou aigrir - les deux facettes d'une automutilation de la vie.

Donc je voulais savoir ce que t'en pensais, j'ai l'impression que tout le passage autour du feu est assez inutile mais en y repensant, ça pourrait faire penser à un truc semblable au regret ou au contraire à l'achèvement.

==> J'y ai donc vu un peu plus ! ;-}



Voilà tout ;)

==> Et c'est déjà pas mal, non ? 😜

Le fil d'ArianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant