La boîte de Pandore ?

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C'est dans l'enfance que se créent les bases de notre personnalité, les fondations de notre conscience. Qui y est conforté dans son estime de soi par de la confiance, de l'amour et de l'écoute sera solide face au monde ; qui y est détruit, abandonné, méprisé sera fragile face aux autres.


Je schématise, bien sûr, car de nombreux facteurs s'entremêlent et toute rencontre ou situation offre des occasions de basculer vers l'envol ou la chute. Néanmoins, il n'en demeure pas moins juste que les traumatismes subis durant l'enfance - et j'entends par traumatisme toute souffrance donnant lieu à des séquelles psychologiques et physiques - engendre une onde concentrique qui rayonnera tant que le traumatisme subi n'aura pas été compris et dépassé. 


Or, l'enfance n'offre pas la maturité nécessaire à cette prise en compte et la source traumatique continue donc souvent d'irradier à travers le temps en cercles concentriques, l'événement isolé pendant l'enfance parasitant toutes les expériences ultérieures de la vie, empêchant la jouissance du bonheur.


Pour certains, ce choc traumatique sera puissant et engendrera des symptômes sévères liés au choc, qui ne se laissera pas oublier (délire, hallucination, hystérie, dépression). Pour la plupart, cela n'engendrera que des symptômes secondaires (angoisses, TOC, cauchemars, dépression, difficultés relationnelles ou incapacité à faire des choix...). Bref, tant que l'écharde du traumatisme originel reste dans la plaie, l'infection s'active et se développe, ravivée et aggravée par les stimulations de la vie qui y font écho.


Beaucoup enfouissent la réalité sous le tapis et se contentent de subir ou vaguement contrôler les symptômes, dans une distanciation qui tient plutôt de la dissociation, leur être profond restant prisonnier, enfermé et étouffé parmi les monstres ténébreux de leur for intérieur, n'existant plus que par un personnage aux émotions souvent émoussées et erratiques. D'autres s'écroulent, rongés de l'intérieur, incapables d'autre chose que de se détruire pour échapper à la douleur et à la terreur. Certains, lorsqu'ils y sont prêts, ouvrent la boîte de Pandore, soulèvent le tapis, décident d'affronter ce qui les dévore au plus profond d'eux-mêmes pour se comprendre, s'assumer, se reconstruire et entrer en résilience, en opérant une réassociation de leur personnage et de leur être profond, dans une réconciliation de l'adulte et de l'enfant.


Quand on regarde autour de soi, quand on s'absorbe dans le monde, on peut évidemment oublier en partie ce qui nous détruit de l'intérieur : on brûle sa vie pour d'autres, on s'absorbe dans une frénésie d'actes où l'on s'oublie. Cependant, l'inactivité et la solitude nous plongent alors dans une angoisse terrible car on y voit poindre l'ombre des spectres qui nous hantent et qu'on fait semblant de ne pas connaître.


Et le travail de sape continue, nous empêchant de réaliser pleinement nos rêves, d'épanouir notre être et notre existence.


Lorsqu'on décide d'ouvrir cette boîte où notre être reste prisonnier au milieu de ses démons, cela ravive les souvenirs, les douleurs, la peur. Mais l'enfant qui hurle au fond de votre obscur silence intérieur, lui, voit la lumière qui vous entoure quand vous vous penchez vers les ténèbres du puits où il est enfermé parmi les monstres. C'est en effet l'adulte qui dispose du recul et des outils nécessaires pour comprendre ce que l'enfant n'a pu appréhender et surmonter. C'est donc à l'adulte de projeter le faisceau lumineux de sa conscience dans la nuit de son inconscient afin de dissiper les ombres qui empoisonnent son esprit.


Car c'est une certitude absolue : quel que soit le monstre qui s'est installé durant l'enfance, il gagne en puissance et en nuisance au fur et à mesure que le temps épaissit les ombres qui le grandissent. L'enfant voit un ogre invincible dans le parent violeur ; l'adulte voit un tordu, un adulte pitoyable et répugnant qu'il faut enfermer ou détruire. Seul le regard de l'adulte peut apaiser les terreurs de l'enfant.


Alors, oui, il faudra tourner un jour vos yeux d'adulte vers le sombre repaire de vos cauchemars, et oui cela sera terrible. Mais bien moins que de tourner le dos à l'enfant qui continue de subir un martyre dans vos tréfonds et qui hurle constamment en vous griffant la conscience.


Pour entreprendre cette exploration de vos noirceurs, nulle précipitation ni prise de risque : entourez-vous. Il ne s'agit pas de redevenir cet enfant terrifié et de vous écrouler, comme rattrapé par vos démons. Il faut avancer pas à pas, repousser les ombres de votre torche rationnelle afin de distinguer dans la masse noire et inquiétante le souvenir triste, la renonciation, la crainte injustifiée qui s'y est tapie et a grossi de votre angoisse.


Vous n'éradiquerez pas ce qui vous opprime : vous vous libérerez en rendant à chaque chose sa place, en digérant les traumatismes pour être plus fort, en rangeant tous ces fantômes sur les étagères de vos souvenirs pour vous en mûrir l'expérience et non plus trébucher dedans à chaque pas.


Un psychothérapeute peut vous accompagner dans la démarche : le psychanalyste sur le long terme, le psychologue sur la gestion des symptômes mentaux, le psychiatre sur la maîtrise des symptômes physiques.


L'introspection, cette entreprise de grand ménage de l'âme encombrée, peut s'accomplir en thérapie avec un praticien (psychanalyse, thérapie comportementale), par des activités physiques (sport pour évacuer la tension) et mentales (sophrologie pour gérer l'angoisse), mais aussi par des activités créatives.


L'écriture, parce qu'elle puise dans votre vécu et votre sensibilité, est un outil parfait pour l'introspection. Quelle meilleure mise en lumière de vos démons intérieurs que la mise en mots et en scène de ce qu'ils sont ?


Le récit autobiographique n'est rien de plus qu'une psychanalyse écrite : on y étale ses souvenirs pour mieux en examiner les émotions et raisons et, ainsi, mieux comprendre d'où l'on vient et où se situent les problèmes.


L'autofiction est un moyen ludique et pertinent pour accomplir cette thérapie littéraire sans se sentir englué dans sa souffrance personnelle : on transpose sa personne en un personnage héros et les événements et acteurs de sa vie en actions fictives et en personnages secondaires. Ainsi, on peut revivre symboliquement les traumatismes tout en s'en tenant à distance respectueuse grâce au filtre de la transposition fictionnelle et dépasser les blocages pour réécrire une nouvelle version de ses souvenirs, faites de victoires et d'alternatives meilleures. Ainsi, on rééquilibre sa perception de soi et son assurance en compensant les échecs vécus par des victoires virtuelles s'appuyant sur l'expérience des échecs pour les sublimer. C'est ainsi qu'on passe du traumatisme à la résilience : en grandissant des épreuves traversées.


A mi-chemin entre les deux, quand le traumatisme est dû à autrui, il y a le procès fictif. Simulacre de justice réelle, il est l'occasion de jouer en vous-même l'apparence d'un jugement qui va libérer l'enfant-victime que vous êtes resté pour en faire un plaignant obtenant justice par un rétablissement virtuel des torts. Cela peut passer par un dialogue fictif, un récit imaginaire, une lettre écrite (pas forcément à expédier)... En effet, l'enfant, parce qu'il croit l'adulte tout-puissant et omniscient, prend toujours sur lui la culpabilité des événements familiaux (divorces, deuils, licenciements, maladies...). Il faut rétablir les torts pour que la victime puisse redresser la tête.


On n'a qu'une existence, jusqu'à preuve du contraire, et elle nous est d'autant plus précieuse - d'autant plus que nous sommes aussi précieux pour les gens qui dépendent de nous. 


Il faut parfois accepter d'aller mal pour accepter l'idée de se soigner et ensuite guérir.

Le fil d'ArianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant