La tigresse en colère

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Lorsque j'arrive discrètement au bureau de mon mentor, les portes ne sont pas fermées. Quelqu'un lui tient compagnie. Je ralentis le pas et me glisse contre le chambranle. Dans l'embrasure, j'entrevois une fine silhouette qui gesticule et s'adresse à lui d'une voix criarde, le faisant grimacer. Je note un profond découragement sur ses traits et me permets de glousser, amusée par cette ridicule petite femme. Quand il relève sa tête et se rend compte de ma présence, il parait réjoui et m'indique d'entrer d'un signe de main. Il décale ce que je pense être une gamine irritante à souhait en la bousculant, et me rejoint. Priam lâche un soupir las et me gratifie d'un large sourire. Je pénètre dans la pièce, capuchon abaissé, et m'arrête à sa hauteur.

— Les enfants répandent souvent les rumeurs. Est-ce judicieux de me trouver ici avec elle ?

La semi-femme s'est avancée vers nous et pose ses poings sur ses hanches, affichant un air renfrogné. Je la jauge plusieurs secondes, ce qui ne semble pas lui plaire. Elle m'imite et exagère son expression, m'observant sous toutes mes coutures. Ma cape la dérange dans son analyse, elle tend alors une main égratignée pour me l'enlever. Évidemment, je stoppe son geste, attrape son poignet et le repousse, puis je gagne une des chaises et m'y assois lourdement. 

—  Premièrement, s'écrie-t-elle, je n'avais point terminé, père ! Deuxièmement, je ne suis pas une enfant ! Et troisièmement, pourquoi une Ravageuse s'embête-t-elle avec toi ? Tu n'es qu'un colonel, après tout.

— Elle n'est pas Ravageuse, contredit Priam.

Mon visage exprime très bien l'étonnement. Je ne présageais pas un instant l'existence de cette créature bruyante. Je savais bien sûr qu'il avait une fille, mais cette chose gigotante et agaçante ne lui ressemble pas du tout ! Son ton calme indique qu'il est habitué à ses plaintes et jérémiades. Voilà pourquoi j'ai toujours eu du mal à concevoir l'envie de procréer. Neuf mois de douleur pour un petit être ennuyant qui vous soutire tout votre argent ! Se balançant d'un pied à l'autre et désireux de la faire partir afin que nous puissions discuter des affaires urgentes, Priam interrompt sa progéniture et déclare :

— Je te présente ma fille, Corynna. Elle reste à l'Institut pour un stage. Elle assistera quelques gradés de l'armée, dont des sergents. Heureusement, elle ne traînera pas dans nos pattes, puisqu'elle n'est pas autorisée à suivre un Colonel ! Corynna, cesse par pitié de me raconter tes journées ! Je m'en fiche, puisque, je te rappelle, que je connais très bien ce métier ! Qui plus est, ne viens pas rechigner si ton école ne valide pas ton stage à cause de tes nombreux retards. Le Sergent Narrengton t'attend sûrement ! Dépêche-toi et conforme-toi aux règles établies, je t'en supplie. Et par tous les dieux, arrête de le harceler pour obtenir des missions. Tu n'en auras aucune, petite écervelée !

Eh bien, eh bien, je ne pensais pas que sa fille serait une telle teigne. Je présume qu'il travaillait trop pour s'occuper correctement d'elle. Elle s'apprête à exploser tant ses pommettes rougissent et se gonflent. Acerbe, elle lance quelques insultes marmonnées que nous n'entendons pas. Mes yeux s'écarquillent face à son insolence, tout comme ceux de Priam. Le visage de ce dernier s'assombrit. Si elle n'avait pas été sa chair et son sang, il l'aurait déjà giflé si fort que sa tête aurait fait un tour sur elle-même. Ou, du moins, c'est ce que j'aurais fait à sa place. Les bonnes vieilles mesures drastiques !

Toutefois, je la regarde mieux et mon front se plisse, surpris par ce que je vois. En fait, je constate des contusions sur la peau découverte de l'enfant. Des traces de fouet sur ses paumes, des bleus sur son abdomen découvert, des brûlures sur ses bras. Je reconnais-là les châtiments de la République. Le Sergent Narrengton ne doit pas être tendre avec elle. Pauvre chérie. Je précise qu'il s'agit d'ironie. J'aime bien ces méthodes. Elles enseignent aux enfants de la République à se tenir. Cette gamine apprendra un jour sa leçon. La vie deviendra plus facile à ce moment-là. En attendant, elle amorce un geste pour encore crier et m'incommoder, mais je me redresse et clame haut et fort afin d'écourter cette dispute inutile :

RAVAGEUSE (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant