Le Plateau Pourpre

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Pendant les dix premières minutes suivant notre arrivée, Thorrak n'a prononcé aucun mot. Tant mieux car je ne l'aurais pas écouté. Je suis submergée par ce que je vois. De la honte. De la disgrâce. De pathétisme à l'état pur. J'en suis tellement dégoûtée que je m'arrête subitement, n'avance plus et contemple cette horreur qu'est ma planète natale. La gorge serrée, ma mémoire se ravive à chacun de mes pas.

Sur Draark, les bâtiments font plusieurs étages et sont érigés à partir de marbre, d'acier et d'autres matériaux avancés. Les technologies éblouissent, que ce soit dans le domaine du transport, de la communication ou de la construction. Tout est parfait et maîtrisé, du nombre de maisons au nombre des stocks alimentaires. Sur chaque planète, les gouvernements prennent grand soin à compter les rations et à ce que le peuple ne manque de rien. Et si jamais ils échouent, alors ils mettent tous leurs efforts pour aider les démunies et leur procurer de l'espoir.  

Ici, le concept d'étages n'existe quasiment pas, car le coût de construction revient trop cher. Les écoles sont payantes et extrêmement chères, elles sont rares et peu fréquentées. Cela signifie que la population de Kapleeen est censée prétendre à un niveau intellectuel bas. C'est majoritairement le cas, hormis pour ceux qui veulent réussir et s'enfuir de là. Ceux-là utilisent le marché noir pour se procurer des manuels – dont moi. Presque tout l'argent de mes contrats permettait de m'offrir du savoir. Sans cette méthode, je serais une stupide jeune femme, incapable de survivre comme la plupart des locaux.

Qui plus est, avec une telle population, les métiers savants coulent complètement. Pour les emplois importants, ce ne sont pas les locaux qui les occupent. Ce sont des volontaires provenant de l'extérieur qui gagnent par conséquent mieux que nous. Voilà là où l'argent du gouvernement va, après les ressources alimentaires. La justice, la médecine et n'importe quelle profession exigeant un certain niveau, les natifs de Kapleeen ne peuvent y accéder.  

Nous ne détenons aucune technologie, officiellement. Le gouvernement ne peut en obtenir. Les taxes sont trop élevées. A nouveau, le marché noir nous apporte ce dont nous avons besoin, c'est-à-dire des armes.

— Sais-tu pourquoi les mercenaires se sont fortement développés sur Kapleeen, au contraire d'une planète telle que Draark avec des gouvernements en contradiction ?

Thorrak pivote vers moi et me jauge un instant. Il m'analyse, certainement pour s'assurer que je ne débute pas une dépression nerveuse en retournant sur mes terres d'origine.

— Non, dis-moi.

— L'élite est petite, constituée d'un pourcentage ridicule de natifs qui sont parvenus à étudier et qui ont choisi des corps de métier au bon salaire et d'un immense pourcentage d'étrangers qui ont occupé les places intéressantes. Ces étranges s'entendent bien entre eux et n'ont pratiquement pas de litiges. Ce ne sont donc pas eux qui proposent des contrats pour s'abattre les uns les autres. 

— Qui, dans ce cas ? Les natifs érudits ?    

— Non, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux pour que les mercenaires tiennent aussi longtemps dans leur activité. Nous avons tué depuis des trois ou quatre décennies. A ce stade, ces érudits seraient déjà tous morts. 

Il jette un œil à l'environnement et réfléchit. J'apprécie ses silences et son calme. Il ne me force pas à me dépêcher et il ne m'ordonne pas de me taire. Il entend et répond à cette problématique. C'est tout. Cela peut paraître anodin, mais je me serais très probablement énervée s'il m'avait secouée et pressée. 

— Il n'y a plus qu'une option, déclare-t-il en levant sa main d'une manière savante. A l'exception du gouvernement. Mais, ainsi que tu l'as fait remarquer, les contrats de mercenaires perdurent à travers le temps et le gouvernement aurait disparu à votre vitesse d'exécution. La dernière option est le peuple lui-même.

RAVAGEUSE (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant