Rassembler son équipe

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Toute la nuit, je l'ai passée à ressasser cette journée haute en couleur et en rebondissements. Je suis plutôt contente de moi, dans le sens où je ne me suis pas démontée et ai affronté la malice du Seigneur Gareli sans ciller, je n'ai pas montré de grandes faiblesses face à Thorrak et j'ai su garder mes esprits. Une telle intensité dans les événements en si peu de temps m'a achevé ; malgré le sol froid et étonnamment humide, j'ai dormi jusqu'au lendemain matin sans que les mouvements de l'assassin ne me réveillent. 

Depuis mon arrivée sur Draark, j'ai vécu beaucoup d'aventures et une poignée de jours se sont écoulés. J'ai du mal à tout résumer tant j'ai été obligée de me concentrer et l'énergie demandée était bien trop. Actuellement, je suis allongée par terre sans accorder la moindre attention à l'assassin et à ses allers-retours dans le couloir. Mon corps souffre encore de certains conflits, en particulier de ma chute enflammée de la base rebelle. Mon crâne bouillonne et j'ai l'impression que je devrai tenir cette allure pendant un long moment. Le jour où j'obtiendrai le rang de Ravageuse, je pourrais me détendre. 

Cependant, je repousse deux pensées qui me perturbent depuis hier. D'abord, je ne parviens de toute évidence pas à digérer ce baiser brutal que Gareli m'a donné lors de notre première rencontre. J'ai pourtant déjà embrassé des inconnus pour le bien de mes missions et j'ai même assassiné un homme en profitant de cette distraction. Mais, celui du Seigneur ne me plaît pas et je ne comprends pas pourquoi. C'est comme si, à chaque fois que je repensais à cet instant, j'ai envie de vomir et mon corps me hurle de ne pas le laisser me toucher. Peut-être que je l'idolâtrais tellement durant mon enfance et que j'attendais tellement de lui que je suis déçue de sa vraie personnalité et suis tout simplement en colère contre lui.

Je chasse ce désagréable souvenir, mais suis très vite attaquée par la scène de hier soir, quand j'ai tué Ridsé. Mes rêves se sont transformés en cauchemars, puisque je revoyais encore et encore son sourire amical, j'entendais ses plaisanteries et puis, je l'assassinais de sang froid, sans broncher. Je ne peux pas dire que je suis fière de moi ou que cette vie m'attire réellement, mais je me répète que le titre de Ravageuse m'octroiera des droits basiques : accepter ou refuser les missions, choisir mes collaborateurs, briller dans la société et recevoir tout un tas de récompenses. 

Mon objectif n'a jamais été aussi sincère et proche qu'aujourd'hui. Néanmoins, il faut avouer que je regrette la mort de cet homme. Je suis ravie d'avoir éliminé un espion corrompu par l'ennemi et donc un agent double, mais j'appréciais son attitude décontractée et amicale. Son assassinat me trouble, parce que je ne le voulais pas et je me rends compte désormais que, pas un seul jour, je n'ai pris une décision propre à mes désirs. 

Je soupire et je me force à oublier Ridsé. Les morts ne continuent à exister que dans l'esprit des vivants, je ne lui permettrais pas de me hanter par delà son trépas et me faire douter de mes convictions. Je me lève finalement en notant que Thorrak n'est pas dans la chambre et je comble l'ennui en me munissant de toutes mes armes. Je les observe et me fascine de leur beauté. Les admirer me rend tout de suite le sourire ; si je n'avais pas perdu mes parents ou si je n'avais pas combattu la misère, je serais devenue une tueuse. Cela me parait tout à fait certain. Les équipements de combat, le sang, les batailles et les coups, y compris la douleur, j'aime les côtoyer au quotidien. Je suis née pour assassiner.

— J'ai terminé les préparatifs. Es-tu prête ? 

Je me retourne lentement et jauge Thorrak dont je n'ai pas perçu l'entrée. Je hausse les épaules, silencieuse et renfermée. Ma fatigue pèse et je ne souhaite pas gaspiller mes forces en lui parlant. Il fronce les sourcils, mais fait signe de le suivre sans rien ajouter. Il me conduit aux prisons et je me méfie quelque peu. Mon allure ralentit, mais il ne le remarque pas et descend les escaliers. Je lui emboîte tout de même le pas et nous nous retrouvons devant un Carter Irann très endormi, appuyé sur son tabouret, bavant. L'assassin se racle la gorge et le geôlier sursaute. Dès qu'il nous voit, il réagit en deux étapes. En premier, il s'excuse à toute vitesse; ensuite, il me reconnait et se surprend de me voir en compagnie de cet homme.  

RAVAGEUSE (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant