Cœur Mécanique [Terminé]

Chapitre 29 - Organisation

Mélody se pliait non sans difficulté aux obligations qu'impliquait sa position de future première dame du dôme. Elle vivait certes dans un décor de conte de fées, mais également de grands moments de solitude.

Pour les besoins de la préparation du mariage, elle s'était installée chez la famille Eudon, dans la chambre en face de celle de Lysandre. La jeune fille passait ses journées en compagnie de sa future belle-mère, et elles organisaient toutes deux le bon déroulement des noces. Mélody était bien entendu très heureuse d'épouser Lysandre, mais toutes ces mondanités la mettaient mal à l'aise. Plus vite ce serait fait, plus vite elle filerait le parfait amour avec le jeune gouverneur et elle retrouverait son travail au garage, du moins pour les journées.

Ou peut-être serait-elle sur les bancs de l'Académie Mélusianne ? Ne voyant pas arriver les résultats, elle pensait qu'elle avait complètement raté son concours, mais maintenant qu'elle avait la tête froide, elle s'était dit qu'elle aurait peut-être finalement ses chances. D'autant plus que le gouverneur lui-même lui avait rédigé une lettre de recommandation. Malgré toutes ces bonnes nouvelles, Mélody ne pouvait s'empêcher d'être nerveuse dans l'attente des résultats officiels.

D'autant plus que les hommes de la famille Eudon avaient dû s'absenter pour des raisons politiques. Lysandre et Bayron se trouvaient toujours en visite dans un des dômes voisins. Cela faisait plusieurs jours que Mélody n'avait pas vu son bien-aimé, et préparer le jour de leur union seule n'arrangeait en rien son état. Heureusement que la mère du jeune homme l'accompagnait dans l'organisation de cet évènement.

Dans le grand salon de la demeure familiale, assises sur les grands canapés de velours, Abigaïl et Mélody discutaient alors du menu du mariage. Elles comparaient les cartes de plusieurs traiteurs.

- Nous avons déjà fait appel à ce chef, commença la grande dame en tendant un carton à sa future belle fille, et nous n'avons pas été déçus. Vous vous souvenez peut-être, très chère, c'était le même lors du dernier bal que nous avons donné pour Lysandre.

- Je me souviens très bien et j'approuve ce choix, répondit Mélody, salivant d'avance à l'idée de retrouver les petits hors d'œuvre qu'elle avait tant appréciés.

- Très bien, alors ce point est réglé ! Qu'avons-nous d'autre à faire aujourd'hui ?

Abigaïl ouvrit le petit agenda de cuir qu'elle emportait toujours avec elle.

- Tenez, regardez. Voici l'emploi du temps typique s'une femme de gouverneur. Maintenant, nous devons régler la question des musiciens, avant de dîner avec les conseillers de mon mari.

Mélody se pencha sur le petit livret et remarqua que toutes les journées étaient bien remplies, même sans les éléments constituant la préparation du mariage.

- Et bien, vous êtes occupée !

- Ce n'est pas grand-chose, voyons ! Je m'occupe de la gestion de la maison, mais aussi des dîners et des rendez-vous de Bayron. Car gouverneur, c'est bien beau, mais derrière c'est toute une organisation ! Enfin, vous le découvrirez bien assez tôt !

- Comment ça ?

- Et bien, ce sera votre rôle d'assister Lysandre dans sa future position. L'épouser implique également un travail à temps plein.

- Mais, et mon travail ? Et mon école ?

- Très chère, vous feriez mieux d'oublier tout ça. Vous pourrez suivre vos cours et continuer à travailler tant que Bayron restera gouverneur. Mais dès lors que Lysandre prendra sa place, vous n'aurez plus le temps de bricoler avec votre père ! Vous aurez un grand rôle à jouer, même dans l'ombre.

Le ton d'Abigaïl ne se voulait pas méchant, mais ses paroles tombèrent comme une sentence pour la jeune fille. À cette déclaration, Mélody se sentait étouffer, son cœur se serra. Abandonner sa passion, son rêve, alors qu'elle touchait peut-être enfin au but ? Dans le même temps, elle désirait plus que tout épouser Lysandre et vivre heureuse avec lui. Mais cela impliquerait-il de laisser tomber tout ce qu'elle aimait ? Le jeune homme ne se rendait certainement pas compte de tout le travail qu'accomplissait sa mère pour le compte du gouverneur. C'était pour cela qu'il lui avait certifié qu'elle pourrait poursuivre son rêve et ses passions, alors qu'il n'en était rien.

La jeune fille resta interdite un instant, perdue dans ses pensées. Lorsque Abigaïl interrompit le fil de sa réflexion, elle s'efforça de lui présenter une expression contraire à son état émotionnel. Elle ne pouvait pas annuler tout le programme de la journée sur cette simple idée, alors elle fit comme si de rien n'était, préparant ses noces de princesse du mieux possible. Mais il lui fallait réfléchir à sa future nouvelle position et ce qu'elle impliquerait. Et Lysandre qui n'était toujours pas là...

Le reste de la semaine, la jeune fille fut dans une constante interrogation. Plus le temps passait, plus elle discutait avec madame Eudon et plus elle se rendait compte de ce qu'impliquait de devenir la femme du gouverneur. Elle devrait vivre pour Lysandre, s'occuper de son emploi du temps, être pour lui une personne de confiance. Elle devait lui vouer sa vie. Mais le désirait-elle vraiment ?

Mélody s'était sentie changer au contact du jeune héritier. En plus de lui avoir ouvert son cœur difficilement accessible, elle avait fait tomber de nombreuses barrières. Barrières qu'elle avait bâties depuis bien des années, depuis que leur mère les avait tragiquement quittées. Depuis qu'elle s'était réfugiée dans un cocon et repoussait tous ses amis qui tentaient de l'aider et qui avaient petit à petit disparu. Elle avait trouvé une seconde famille, même si cela l'avait au début éloignée de sa propre sœur. Léana s'adoucissait pourtant depuis quelques jours, acceptant le bonheur de son aînée et ayant finalement trouvé le sien dans les bras d'un jeune homme, certes d'une condition modeste, mais tout aussi charmant.

La jeune mécanicienne filait le parfait amour dans les bras du futur gouverneur, mais cela valait-il la peine de laisser derrière elle sa famille, sa passion, son rêve ? Elle aurait voulu attendre les résultats du concours pour pouvoir prendre une décision, pour savoir si cela valait la peine de briser quelque chose. Malheureusement, ces résultats n'arriveraient peut-être qu'après leur mariage, il serait donc déjà trop tard. Il fallait donc qu'elle réfléchisse, encore et encore, et décide une bonne fois pour toutes ce qu'elle désirait vraiment.