- Comment ça ? Vous ne pouvez pas la réparer avant demain soir? Et comment suis-je censé me rendre au bal du gouverneur, je vous le demande ?
Le jeune homme frappait d'agacement sa canne sur le sol pavé de l'atelier afin d'extérioriser son mécontentement. Ses mains se crispaient sur le pommeau en argent finement ouvragé, faisant s'étirer le cuir noir de ses gants luxueux.
- Vous pouvez en louer une. Si vous le désirez, nous pouvons vous mettre en relation avec l'un de nos partenaires, lui répondit la jeune fille qui tentait de le calmer, cherchant des prospectus à l'intérieur de son comptoir.
La demoiselle avait les joues mâchurées de traces de poussière et de graisse, signe qu'elle-même mettait les mains dans la mécanique. Elle s'essuya machinalement avec la manche de sa chemise retroussée, ce qui ne fit qu'étirer la trace brune sur sa pommette.
- Beaucoup de voitures et d'autres machines ont été déposées avant la vôtre, reprit-elle, elles sont donc prioritaires, monsieur. Je suis sincèrement désolée, mais votre véhicule ne sera pas disponible avant deux jours.
La pauvre mécanicienne essayait tant bien que mal de calmer son client, en vain. Elle réajusta ses lunettes de protection sur son front avant de finir de remplir les papiers pour la réparation.
- Vous pouvez être désolée, lui aboya-t-il à la figure. Vous avez de la chance d'être le dernier garage ouvert aujourd'hui, sinon j'irai voir ailleurs sur le champ ! Et je ne vous parle pas de la mauvaise publicité que mes relations sont capables de vous faire !
Lysandre griffonna sa signature sur le bon de réparation. Son écriture d'habitude fine et élégante perdait toute sa beauté dans sa rage et sa précipitation. Il jeta les clés de son véhicule hybride dernier cri à la figure de la technicienne avant de s'éloigner en grommelant. Alors qu'il s'apprêtait à sortir du garage, il s'écria, plus pour lui-même que pour la jeune fille :
- Vous ne savez pas qui je suis ! Sinon, vous ne me traiteriez pas de la sorte !
Une fois ce désagréable client suffisamment loin, le sourire forcé par le professionnalisme de Mélody s'effaça instantanément. C'était exactement le genre de personne qu'elle détestait. Alors qu'il devait avoir vu le jour au sein d'une famille riche ou importante, ou les deux à la fois, il se croyait absolument tout permis, profitant de chaque instant pour faire savoir à tout un chacun qu'il leur serait toujours supérieur. Heureusement que le gouverneur Bayron ne se comportait pas de la sorte, pensa-t-elle. Naître avec une cuillère en argent dans la bouche ne leur donnait pas tous les droits.
- Merci ! dit-elle finalement à contrecœur, même si elle savait qu'il ne l'entendrait pas. Et passez une bonne soirée chez le gouverneur ! continua-t-elle à mi-voix, une pointe de moquerie dans ces mots.
Le fils de Bayron se trouvait justement trop loin pour entendre ces dernières paroles. Lysandre héla un taxi pour rentrer chez lui au plus vite, car il devait se préparer pour le bal. Il n'aurait pas eu l'utilité de son propre véhicule puisque la réception se déroulerait dans l'immense demeure appartenant à sa famille. Il voulait cependant faire conduire tous ses amis par son chauffeur personnel, afin de bien leur montrer à quel point il était bon, généreux, mais aussi que sa famille était la plus riche et importante du dôme. Selon lui, cela lui permettrait de conserver leur sympathie ainsi que sa position sociale. Une panne au mauvais moment lui avait fait revoir ses plans, et le manque de professionnalisme de la jeune femme n'aidait en rien.
Pendant le trajet, la tête appuyée contre la vitre, il repensa à son court échange avec l'employée du garage. Elle aurait pu être jolie, si elle ne passait pas sa vie le nez au fond de machines en tout genre. Et puis pour qui se prenait-elle ? Il avait vu son regard excédé quand il avait commencé à s'énerver. Elle aurait dû réparer sa belle voiture nouvelle génération en priorité, car personne ne devait le faire attendre. Après tout, il était Lysandre Eudon. Son père, en plus d'être le gouverneur du dôme 348, possédait de nombreuses usines qui faisaient travailler une énorme partie de la population ! Même la jeune mécanicienne qu'il venait de rencontrer gagnait sa vie en réparant les machines de son père. Elle devait lui en être reconnaissante !
Mais Mélody ne l'avait pas reconnu et lui-même était trop fier pour se présenter, croyant que tout le monde le connaîtrait sous le dôme. Tout ce qu'elle savait de Lysandre, c'est qu'il était un brillant jeune homme destiné à prendre un jour la place de son père. Elle ne regardait ni les écrans d'informations et très peu la télévision, préférant les bons vieux journaux en papier recyclé, et ne savait donc pas à quoi ressemblait le garçon. En réalité, elle n'en avait pas grand-chose à faire.
Lorsqu'il arriva chez lui, toute trace de cette altercation s'était évaporée de son esprit. Lysandre devait maintenant se préparer pour le grand bal. L'évènement était donné en son honneur, ainsi se devait-il d'être irréprochable et ne devait surtout pas être en retard. On ne pouvait y entrer que sur invitation officielle du gouverneur, même si une grande partie du dôme était conviée, surtout les jeunes filles.
Car le but était bien évidemment de trouver la future Madame Eudon, avant que Lysandre ne prenne ses fonctions de gouverneur. Outre la prestance sociale qu'assurait le fait d'être accompagné d'une jeune fille de bonne famille, cette dernière devenait indispensable afin d'offrir un héritier à cette importante famille. La tâche était donc capitale, bien que le procédé soit vieux comme le monde, tout droit sorti d'un conte de fées.
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Cœur Mécanique [Terminé]
RomantikSous le dôme 348, toutes les demoiselles désirent devenir des Ladies et épouser des Messieurs riches et importants, comme Lysandre, le fils du gouverneur. Enfin, presque toutes. Mélody n'est pas de haute naissance et se moque bien des étiquettes, pr...