Cœur Mécanique [Terminé]

Chapitre 10 - Confrontation

- Ça veut dire qu'il va venir aujourd'hui ! Je suis tellement heureuse !

En effet, c'était deux jours après le bal que le fils du gouverneur devait venir chercher son véhicule au garage Pane. Quand elle l'avait su, Léana avait bondi de joie. C'était comme si le ciel lui envoyait un signe, comme s'il était bel et bien l'homme de sa vie, qu'il viendrait la chercher, elle. On lui offrait une nouvelle chance de le revoir, elle n'allait certainement pas la laisser filer !

Mélody était bien moins enjouée de cette visite, s'attendant une nouvelle fois à des échanges agressifs. Aussi laissa-t-elle avec plaisir à sa jeune sœur le soin d'accueillir ce client difficile, tout en gardant un œil sur la jouvencelle. Et de toute façon, elle était bien assez occupée à réparer une machine agricole qu'on lui avait apportée dans un état déplorable.

Lorsque le fils du gouverneur entra dans le hangar, c'était comme si son humeur redevenait celle de leur première rencontre, alors qu'il sermonnait avec vivacité la mécanicienne. Il ne prit même pas la peine de saluer la jeune fille blonde devant lui.

- Mon véhicule, s'il vous plaît, dit-il d'un ton monocorde, cette seule marque de politesse lui arrachant presque la langue.

- Tout de suite, Monsieur Eudon, fit Léana toujours avec son immense sourire.

Elle alla chercher ses clés et l'accompagna, cherchant désespérément à ce que le jeune homme pose enfin les yeux sur elle. Mais Lysandre était bien trop occupé à consulter son téléphone portable personnel, un autre des symboles de la richesse de sa famille.

- Tenez, tout est en ordre, et la révision a été terminée ce matin même par ma sœur.

- Très bien, je vous remercie, continua-t-il toujours sans aucune intonation.

Léana était quelque peu désarçonnée par ce cruel manque de courtoisie, mais décida d'entrer directement dans le vif du sujet

- Et sinon, votre soirée masquée, s'est-elle passée comme vous le souhaitiez ? questionna la jeune fille innocemment.

Lysandre commença par hausser les épaules, ne prêtant pas plus attention à Léana. Il n'avait pas l'intention de s'attarder plus longtemps dans cet entrepôt, et la jeune fille qui s'occupait de lui semblait beaucoup trop bavarde à son goût.

- Parce que, nous sommes vraiment désolées de vous avoir fait faux bond l'autre soir... reprit-elle.

Le jeune homme ne l'écoutait qu'à moitié, mais à l'évocation qu'avait faite la jeune fille, son cerveau tilta instantanément.

- Vous voulez dire... Que c'était vous, avec votre sœur, qui êtes parties comme ça, d'un coup ?

Léana jubilait de le voir ainsi surpris, de l'avoir enfin retrouvé. C'était lui, elle en était certaine, qui l'aimerait jusqu'à la fin de ses jours.

- Oui, c'était bien nous, répondit-elle en lui offrant son sourire le plus éclatant. Je vous prie d'excuser ma sœur, nous avons dû quitter votre somptueuse fête, car elle souffrait d'une indigestion, mentit-elle pour se justifier.

Lysandre n'en revenait pas. À peine avait-il décidé de se mettre à la recherche de la mystérieuse jeune fille qu'il rencontrait sa sœur, par hasard, celle qu'il avait courtisée et qui l'avait finalement présenté à la fille de ses rêves. Pourtant, au fond de lui, il avait un mauvais pressentiment.

- Je vois... Et donc, où est votre sœur ? Habite-t-elle avec vous ? demanda-t-il en ne faisant plus vraiment attention à la blonde.

- Mélody ? Elle est juste là-bas, répondit Léana en indiquant la brune dans le fond du hangar. Mais elle est débordée, et je pense que son travail ne doit pas beaucoup vous intéresser, tenta-t-elle de le détourner.

Lorsqu'il l'aperçut enfin, tout son corps se figea et son cœur s'arrêta de battre un instant. La jeune fille était penchée à l'intérieur de la machine agricole, on ne voyait que ses fesses et ses jambes dépasser de la carcasse de métal. Elle était vêtue d'une combinaison de travail bleue sur laquelle étaient parsemées quelques traces de cambouis. Malgré la réputation habituellement disgracieuse du vêtement, il laissait entrevoir les formes de la jeune fille. Lysandre la voyait bouger, elle devait peiner à démonter un des éléments de l'imposante machine. Quand elle s'extirpa de l'engin, le visage poussiéreux, elle essuya ses mains contre la combinaison qu'elle portait les manches nouées à la taille. Son buste était seulement habillé d'un débardeur noir mettant discrètement en valeur son décolleté. Ses cheveux bruns étaient ramenés en une longue tresse lui arrivant en bas du dos et quelques mèches rebelles s'échappaient de sa coiffure.

C'était bien elle. La jeune demoiselle qu'il avait vue lors de la soirée se dérober à son contact. Mais c'était aussi la mécanicienne qui l'avait si mal reçu quelques heures avant la réception. Il la reconnaissait enfin, malgré ses tenues totalement différentes.

Mélody se redressa et jeta un œil dans leur direction. Quand elle s'aperçut que le fils du gouverneur se trouvait aux côtés de sa sœur, elle attarda son regard sur eux afin de s'assurer que le jeune homme n'importunait pas Léana. Le sourire qu'affichait la blonde confirma ses doutes, elle était toujours raide dingue de cet éphèbe. Mélody vit que Lysandre la fixait, elle décida alors de soutenir son regard sans se laisser déstabiliser.

Le jeune homme était élégant, c'était indéniable. Ses cheveux blonds bien coiffés étaient bien moins gominés que lors du bal, ce qui le rendait bien plus naturel. Son regard bleu azur semblait s'insinuer à l'intérieur de l'âme de la jeune fille, ce qui commençait à la rendre mal à l'aise. Il était vêtu d'une impeccable redingote et Mélody voyait ses mains gantées se crisper petit à petit sur le pommeau de sa canne, simple élément d'apparat, car il n'en avait pas eu besoin la veille.

Ce face-à-face dura tant que la brune décida d'aller directement se confronter à son client. Elle s'approcha d'eux, resserrant le nœud des manches de sa combinaison, et s'arrêta juste devant lui.

- Bonjour monsieur, commença-t-elle sur un ton poli, mais acerbe. Un problème avec votre véhicule ? demanda-t-elle en s'attendant à ce qu'il repique une crise comme la veille.

Lysandre fut pris au dépourvu devant l'assurance de la jeune fille. Il tenta de reprendre une contenance avant de répondre.

- N... Non, finit-il par bredouiller.

Mélody ne répondit rien, s'amusant de voir le fils du gouverneur ainsi déstabilisé, mais il profita de ce silence pour reprendre du poil de la bête.

- Je ne vous remercie pas, dit-il enfin en faisant face à la jeune fille. Comptez sur moi pour prôner votre manque de professionnalisme à toutes mes connaissances !

Non, mais, pour qui se prenait-elle ? Malgré son incroyable et inexplicable attirance pour cette mécanicienne, Lysandre n'allait tout de même pas se laisser traiter de la sorte. Mais le pire, c'est qu'il semblait apprécier ces échanges piquants, si différents de ses autres relations.

Ce fut au tour de Mélody d'être désarçonnée, mais son caractère bien trempé reprit rapidement le dessus.

- Nous n'avons que faire de votre mauvaise publicité, railla-t-elle. Notre réputation n'est plus à faire sous le dôme 348 et ailleurs, alors je vous prie de m'excuser, mais j'ai encore du travail !

Elle se retourna et se dirigea vers la machine qu'elle réparait quelques instants plus tôt, n'accordant plus aucune attention à son client et à sa sœur, replongeant dans les profondeurs de la mécanique.

- Comment osez-vous ? fulmina Lysandre. Savez-vous au moins qui je suis ?

Mélody ne prit même pas la peine de se redresser pour répondre. Sa voix résonnait contre le métal.

- Je sais très bien qui vous êtes, et cela ne changera strictement rien.

Elle sourit, mais personne ne pouvait le savoir. Lysandre restait là, vexé. Il arracha ses clés des mains de Léana et prit place à l'intérieur de son véhicule. La blonde ne comprit pas le comportement du jeune homme et son sourire s'effaça instantanément, voyant son futur époux fuir comme elles l'avaient fui deux jours plus tôt.