Chapitre 15 - Décision

2.4K 246 0
                                    


Mélody enrageait intérieurement. Elle avait fait preuve d'un sang-froid sans égal lors de son entrevue avec Lysandre et tout ce qu'elle désirait désormais, c'était quitter cet endroit.

Alors qu'elle parcourait le dédale de couloirs et de salles qui constituaient la demeure Eudon, la jeune fille priait pour ne croiser personne d'autre. Malheureusement, comme s'il avait su qu'elle partait, M. Smith vint à sa rencontre dans le grand hall, à quelques pas de la porte d'entrée.

- Vous avez fini, mademoiselle ? demanda-t-il à la jeune mécanicienne sans remarquer son visage crispé.

Cette dernière se radoucit, recouvrant son visage professionnel.

- Tout est en ordre, répondit-elle en lui adressant un sourire forcé. Nous adresserons la facture à la famille Eudon dans la semaine.

- Pouvons-nous aller voir les robots ensemble ?

- Je regrette, mais je dois y aller, une urgence m'attend au garage, mentit-elle. Les robots fonctionnent parfaitement bien, il s'agissait d'un simple problème d'encrassage des circuits et de connexion. Ils ont dû travailler énormément en très peu de temps, cela arrive parfois sur ces modèles. Mais tout est en ordre, Lysandre Eudon lui-même est venu vérifier. Je vous prie de m'excuser, mais je dois vraiment y aller. Au revoir !

Sans lui laisser le temps de lui répondre, Mélody sortit de l'immense demeure et s'engagea sur le chemin pavé d'un pas décidé. Il fallait absolument qu'elle sorte d'ici le plus vite possible.

Ce n'est que lorsqu'elle pénétra dans sa voiture qu'elle se sentit vraiment en sécurité. Mélody s'affala sur le siège conducteur pour reprendre son souffle ainsi qu'un rythme cardiaque décent, ce qu'elle n'avait pas réussi à faire depuis son entrevue avec le fils du gouverneur.

Pourquoi faisait-il cela ? Pourquoi s'était-il amusé à l'enquiquiner ainsi ? Et il n'était rien pour elle, juste un fils pourri gâté, impertinent et pédant.

Mais surtout, pourquoi était-elle attirée par lui ?

Certes, Lysandre était un jeune homme magnifique, intelligent et avait un bel avenir devant lui. Mais il était surtout malpoli, hautain, il jouait avec elle. Et cela, elle ne le supportait pas.

Alors, pourquoi avait-elle frissonné à son contact, lorsqu'il avait posé son bras sur son épaule ? Pourquoi, sans se l'avouer, espérait-elle le revoir un jour ?

Mélody se détestait de ressentir de telles sensations. Elle devenait faible, sans défense. Elle s'était protégée durant toute son adolescence de ces jeunes premiers qui l'auraient laissée tomber, tout comme sa sœur. On lui avait fait le coup une fois, et Mélody s'était promis de ne jamais retomber dans ce genre de piège. D'autant plus qu'elle s'était retrouvée seule devant son chagrin, car elle ne voulait pas alarmer son père et sa sœur. Elle avait bridé son cœur, mais elle le sentait vaciller en cet instant. Il ne fallait pas que cela recommence. Jamais.

Et surtout, il ne faudrait jamais que Léana apprenne ce qui venait de se passer. Déjà qu'elle n'était toujours pas calmée de sa colère puérile, elle en voudrait à mort à sa sœur d'avoir pu toucher l'objet de sa convoitise, même contre son gré.

De toute façon, Mélody se promit de ne plus jamais remettre les pieds chez la famille Eudon, gouverneur ou pas. Cet évènement n'était rien de plus qu'un moment d'égarement, et elle tournait dès lors la page avant de mettre le contact et de rentrer chez elle. Mais sur la route, elle commençait à maudire cette part d'elle-même à qui Lysandre manquait déjà.

***

Lysandre était resté immobile, dans la salle de contrôle. Sa solitude n'était troublée que par le réveil des robots domestiques qui s'empressaient de s'enquérir de son état.

- Monsieur, pouvons-nous faire quelque chose pour vous ? demandèrent les androïdes d'une seule voix.

Le jeune homme ne répondit rien. Il accusait encore le coup de ce qui venait de se passer. C'était pourtant lui qui avait provoqué cet échange, lui qui s'était approché d'elle. Et elle s'était enfuie, encore une fois, laissant derrière elle de simples machines sans âme, mais en bon en état de marche.

Il était-là, les bras ballants, regrettant amèrement le départ anticipé de la jeune fille et fixant la porte qu'elle avait prise pour se dérober. Lysandre ne savait plus quoi faire, mais il savait autre chose : il voulait absolument la revoir, et qu'elle le perçoive autrement que comme un fils à papa prétentieux.

Sa force de caractère, son implication dans son travail, le sérieux et l'habileté qu'elle mettait dans chacun de ses gestes, tout cela lui plaisait chez elle, cela la rendait vraiment unique par rapport aux autres jeunes filles qu'il connaissait. Sans oublier, bien sûr, ses formes harmonieuses et ses yeux émeraude qu'il était parvenu à faire briller un instant. Lysandre aurait tout donné pour voir à nouveau cette lueur animer son regard, mais aussi pour la voir sourire.

La jeune fille lui avait déjà souri, mais c'était plus souvent un signe de moquerie, de gène ou de simple politesse commerciale. Ce qu'il voulait, c'était la voir heureuse. La rendre heureuse.

- Monsieur, êtes-vous sûr que tout va bien ? demandèrent une nouvelle fois les robots humanoïdes, brisant le silence qui s'était installé dans la salle de contrôle.

Lysandre sortit enfin de sa torpeur et contempla les androïdes un instant sans leur répondre. C'est à cet instant que M. Smith pénétra dans la pièce afin de s'assurer de l'état des robots. Il ne s'attendait pas à y trouver son jeune maître en pleine contemplation devant les êtres de métal.

- Monsieur, je vous prie de m'excuser, mais ne devriez-vous pas être avec votre précepteur pour vos leçons quotidiennes ? l'interrogea-t-il poliment.

En règle générale, Lysandre aurait envoyé balader le pauvre employé sans ménagement. Pourtant, ses pensées toujours autant en désordre, il parvint à bafouiller une réponse timide au majordome.

- Je... Il était souffrant, alors je l'ai prié de rentrer se reposer, mentit-il. Si vous permettez, je vais me retirer dans mes quartiers pour étudier.

Sous le regard étonné de l'employé de maison, le jeune homme s'éclipsa en empruntant d'abord le même chemin que sa belle. À chaque pas, il lui semblait ressentir sa présence, comme une trace laissée par ses mouvements gracieux mais assurés et son parfum subtil. Au lieu de se diriger vers la porte d'entrée, il prit les escaliers pour se rendre dans sa chambre, où il pourrait enfin être tranquille.

Il s'écroula sur son lit, ne prenant même pas la peine d'enlever sa veste. Son esprit tournait et se retournait dans tous les sens, arrivant toujours à la même conclusion.

C'était elle.

Cœur Mécanique [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant