Chapitre 9 - Hésitation

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Lysandre ne pensait plus qu'à cette fille. Elle l'intriguait, et bien plus que ça, elle l'obnubilait.

Premièrement, son physique était à tomber par terre et il regrettait de ne pas avoir pu faire plus ample connaissance avec elle. Et il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait fui à toutes jambes alors qu'ils venaient à peine d'être présentés, entraînant sa sœur dans son sillage. Sœur pour laquelle il n'avait plus aucun intérêt maintenant qu'il avait vu l'aînée, malgré les qualités qu'il lui avait trouvées.

Il ne restait de sa charmante inconnue qu'une paire d'escarpins bleus roy très peu usés et, chose plutôt étrange, un tournevis. Un unique soulier aurait pu lui permettre de retrouver la jeune fille, comme dans les contes de son enfance, mais les deux rendaient la manœuvre bien plus délicate et bien moins romantique. C'est le second objet qui l'intriguait le plus.

Qui pouvait bien transporter un tournevis dans son sac à main ? D'autant plus lors d'une telle soirée !

Il avait ramassé l'étrange objet sur le sol et l'avait conservé précieusement, l'observant sous toutes les coutures. C'était un outil des plus banals. Lui-même n'avait jamais eu l'occasion d'utiliser ce genre d'objet, des techniciens ou des robots s'occupant de tous les travaux de bricolage de la maison.

Lysandre avait pourtant profité de la fin de la soirée comme il se devait, afin de faire bonne figure devant ses parents ainsi que tous les collaborateurs de son père. Pour oublier cet incident, il avait passé la plupart de son temps aux côtés de ses amis, courtisant quelques demoiselles fades, mais sans grande motivation. La belle inconnue hantait toujours ses pensées.

Tout ce mystère la rendait encore plus irrésistible à ses yeux. Qui était-elle ? Que faisait-elle dans la vie ? Sa sœur ne lui avait pas donné beaucoup de détails, parlant seulement de son travail au Shift, de sa passion pour la danse et de son admiration pour le lieu et la soirée. Et elle était bien plus occupée à le regarder lui, se noyant dans ses beaux yeux bleus, alors que la brune s'était montrée bien moins docile en se dérobant dès le premier regard. Peut-être était-ce cela qui le mettait dans tous ses états.

Lorsqu'il alla enfin se coucher, il déposa sa précieuse relique à côté de lui, sur sa table de chevet, veillant précieusement dessus. Tous ses rêves étaient tournés vers cette mystérieuse jeune fille au sprint extraordinaire.

À son réveil, le petit tournevis n'était plus là où il l'avait laissé. Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines et Lysandre se mit nerveusement à la recherche du seul objet qui le rattachait encore à la belle inconnue. Il le retrouva enfin, soulagé. L'outil avait sans doute profité d'un coup de vent ou d'un mouvement brusque du jeune homme pour se glisser sous son lit. Lysandre, allongé sur son matelas, le contempla encore et encore avant de sortir enfin de son lit pour vaquer à ses obligations quotidiennes.

Les vapeurs de l'alcool le faisaient encore souffrir, aussi prit-il un médicament avant de revêtir sa tenue de tous les jours. Une redingote noire, un pantalon de la même couleur et son haut de forme préféré, avant de sortir de sa chambre. La matinée était déjà bien avancée, il avait prévu qu'il se lèverait tard après la soirée, aussi avait-il rendez-vous à ce moment exact avec son père dans la grande bibliothèque de la demeure.

Lysandre était devenu un jeune homme cultivé et intelligent, il n'avait plus besoin de précepteur, mais son père tenait à le voir régulièrement pour discuter seul à seul des affaires du dôme, à recevoir son avis pour juger de sa capacité à prendre un jour sa suite.

Sauf qu'aujourd'hui, le jeune homme le savait, la discussion ne tournerait pas autour de politique.

Bayron était déjà dans la bibliothèque lorsque son fils entra dans la grande salle. Il consultait un épais volume sur la géographie d'avant la dernière guerre nucléaire, rare vestige de temps oubliés, satisfaisant son âme d'historien. Les étagères étaient remplies de ces ouvrages anciens, d'origine ou non, symbole d'un passé que beaucoup trop de monde oubliait petit à petit.

Quand il vit son fils arriver, ses yeux bleus s'emplirent de malice et il l'accueillit chaleureusement.

- Alors, bien dormi ? s'amusa-t-il. As-tu rêvé de la future Madame Eudon ?

Lysandre se renfrogna, mais restait toujours très honnête avec son père.

- Oui, enfin, plus ou moins...

Il resta plutôt évasif, ce qui piqua au vif la curiosité de Bayron.

- Comment ça ? Je t'ai vu accompagné d'une jeune femme blonde avec une magnifique robe rouge, hier soir. Vous sembliez vous entendre, et la petite semblait aux anges !

- C'est plus compliqué que cela.

Son fils lui raconta alors toute l'histoire des deux jeunes filles qu'il avait rencontrées, d'abord la demoiselle en rouge qui lui paraissait charmante, mais qui avait bien vite été éclipsée par sa sœur aînée aux cheveux bruns. Puis il narra la fuite épique de ces dernières, ainsi que la scène rocambolesque devant le portail.

- Je ne connais même pas son nom, fit Lysandre la mine déconfite. Tout ce qu'elle a laissé, ce sont ses chaussures pour mieux prendre ses jambes à son cou. Et puis ceci.

Le tournevis ne le quittait plus, il l'avait conservé dans la poche de sa veste. Quand il le dévoila à son père, celui-ci manqua d'éclater de rire.

- Et bien, elle a bon dos, ta Cendrillon !

- Merci de ton soutien, père, dit Lysandre, vexé.

- Calme-toi, je ne voulais pas te blesser. Mais avoue que c'est plutôt cocasse comme situation. Alors, je suppose que nous devons rechercher une mécanicienne dans tout le royaume ? fit Bayron en poursuivant sur son train d'humour.

Une mécanicienne ? L'image de la jeune fille qui l'avait reçu au garage la veille, les joues mâchurées de graisse et de poussière, ses lunettes de protection tombant lâchement sur ses yeux et sa tenue de travail trop grande pour elle, lui traversa l'esprit. Non, cela ne pouvait pas être cette fille, il l'aurait reconnue. Et puis elle s'était comportée avec si peu de professionnalisme qu'il ne pouvait pas s'agir de la même personne, elle n'aurait jamais pu être si belle lors de ce bal. Elle n'aurait même pas pris la peine de se déplacer, malgré l'invitation lancée à toutes les jeunes filles du pays.

- Je n'en sais rien, fit-il enfin. Je me vois mal envoyer des avis de recherche dans tout le dôme avec cette seule information. D'autant plus que ce serait ridicule.

- Nous en discuterons avec ta mère, trancha Bayron. Elle aura peut-être une idée. Nous devons nous mettre en route, nous avons un déjeuner avec des ministres dans à peine une demi-heure, et ces gens ont horreur d'attendre !

- Très bien.

Il lui rendit le tournevis qui regagna sa place dans la poche intérieure de la veste de Lysandre, tout contre son cœur. Le contact de l'outil à travers ses vêtements redonna du courage au jeune homme.

- Père ?

- Oui ?

- Il faut absolument que nous retrouvions cette fille.

Cœur Mécanique [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant