Cœur Mécanique [Terminé]

Chapitre 17 - Manutention

Ce silence était reposant.

Mélody était arrivée à la résidence Eudon les tripes nouées. La jeune fille redoutait de voir débarquer le fils du gouverneur à chaque instant, mais celui-ci se faisait surtout remarquer par son absence.

Aussi avait-elle pu, en toute quiétude, revoir une grande partie du système de gestion automatisé de la demeure. Quelques fusibles à changer, un peu de nettoyage à faire, relier les androïdes qu'elle avait fraîchement réparés au système central, Mélody rencontrait parfois quelques difficultés, mais parvenait toujours à résoudre les problèmes rencontrés. Même M. Smith, le majordome, semblait impressionné par les talents de la jeune fille.

Elle rangea ses outils, jugeant qu'elle n'aurait pas le temps de terminer son travail et devrait revenir le lendemain. Mélody se dirigea donc vers le garage de la demeure, dans lequel sa vieille voiture faisait pâle figure devant les véhicules de denière génération de la famille Eudon. Elle reconnaissait même la voiture de Lysandre qu'elle-même avait réparée. La machine rutilante n'était pas très bien entretenue par son propriétaire qui devait laisser ça à des robots, visiblement non spécialisés pour cette tâche. Malgré tout, elle avait apprécié travailler sur le bolide, car elle n'avait pas la chance de toucher de si belle mécanique tous les jours.

Elle démarra, mais, alors qu'elle tentait d'avancer, elle remarqua que sa voiture avait des difficultés pour avancer. Quelque chose clochait. Mélody sortit alors de l'habitacle pour analyser la cause de cette anomalie. Et pour cause, son pneu avant droit était totalement dégonflé. Elle tenta alors de le regonfler à l'aide d'une pompe que son père conservait toujours dans son coffre. Malheureusement, cela s'avérait inutile, car le pneu était tout simplement crevé, il lui aurait fallu une roue de secours. Or, elle n'en possédait pas sous la main et à en juger par les autres voitures à proximité, les Eudon n'auraient certainement pas le modèle adéquat.

C'est ce moment que choisit Bayron Eudon pour rentrer chez lui. La confortable voiture dernier cri se gara à côté de l'antiquité de Mélody, le chauffeur ouvrit la portière avant de disparaître dans une autre voiture pour rentrer chez lui. Le bonhomme sortit de la place passager et découvrit la jeune fille accroupie devant sa roue avant.

- Bonsoir Mademoiselle ! dit-il de son ton toujours bienveillant, même après une journée de travail et de négociations. Vous venez du garage Pane, c'est bien ça ?

- Bonsoir Monsieur. En effet, j'ai revu la moitié du système et je comptais terminer demain dans l'après-midi, mais il semblerait que je ne puisse pas rentrer chez moi.

- Que vous arrive-t-il ?

- C'est tout bête, j'ai crevé ! C'est plutôt paradoxal pour une mécanicienne, vous ne trouvez pas ?

Malgré la position sociale de son interlocuteur, Mélody se sentait à l'aise en compagnie de Bayron Eudon. Comment son fils pouvait-il être si différent ? S'il tenait de sa mère, la jeune fille s'estimait heureuse de ne pas l'avoir encore rencontrée.

- Je vois, c'est très fâcheux, accorda Bayron tout en souriant à la plaisanterie de la jeune fille. Nous n'avons pas ce genre de voiture et donc encore moins de pneu de secours tel que celui-ci. Et il se fait tard, personne ne pourrait nous livrer à cette heure-ci.

Mélody réfléchissait au moyen de rentrer chez elle. Son père ne pouvait pas venir la chercher puisqu'elle avait en sa possession l'unique voiture du garage, et pas question d'utiliser celles des clients. Et elle ne pouvait pas rentrer à pied, de nuit. Le garage était tout de même assez éloigné de la demeure du gouverneur.

- Vous allez passer la nuit ici ! déclara-t-il finalement.

- Mais... Je ne peux pas accepter...

- Je ne vois pas d'autre solution, et cela ne nous dérange vraiment pas ! Notre maison est devenue bien trop grande au fil des années, et les chambres des domestiques se sont vidées au profit d'androïdes. Je n'étais pas tout à fait d'accord, mais ma femme a insisté pour remplacer tout le monde par des robots, et comme c'est elle qui passe le plus clair de son temps ici... Tout ça pour dire que nous allons vous faire préparer une chambre, je vais aller prévenir Mr Smith. Et vous lui donnerez les références pour votre pneu, il nous en fera livrer un pour l'après-midi, ainsi vous pourrez rentrer chez vous demain soir. Qu'en pensez-vous ?

- Je ne sais pas quoi dire... Je vous remercie. J'aimerais juste pouvoir appeler ma famille, pour les prévenir.

- Aucun problème. Je vous prie de bien vouloir m'excuser, il faut que je rejoigne ma femme et mon fils pour le dîner. Bon courage demain pour les réparations.

Bayron Eudon disparut à son tour, laissant Mélody bouche bée. Elle allait dormir ici, dans la maison même du gouverneur ! Elle en aurait été tellement excitée et heureuse, si elle ne savait pas que l'héritier même de l'homme si charmant qu'elle venait de rencontrer dormait sous le même toit. La panique commença à la gagner, mais il fallait qu'elle se ressaisisse. Avec un peu de chance, elle ne croiserait même pas le jeune homme, en restant dans l'aile des domestiques. Elle le regrettait un peu, mais c'était certainement mieux comme ça.

M. Smith arriva quelques instants plus tard et la mena à sa chambre. Il prit les informations nécessaires à la commande du pneu et la laissa là, lui promettant de lui apporter le repas plus tard. Bien que ce soit une pièce réservée aux domestiques, la chambre était bien plus grande que la sienne au-dessus du garage et la décoration sobre restait pourtant très élégante. Mélody s'affala sur le confortable lit deux places, luxe qu'elle n'avait jamais essayé, et laissa divaguer son esprit avec toutes les informations qu'elle venait d'avoir. Une nuit dans la maison Eudon, Lysandre... Elle ne tarda pas à s'endormir, ne prêtant même pas attention à l'androïde qui vint lui porter son plateau-repas. Ses rêves étaient peuplés de doutes, de machines à réparer, et le beau Lysandre parvenait toujours à s'y glisser.