Chapitre 8 - Explication

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- Comment as-tu pu me faire ça ?

Le lendemain, dès son réveil, Léana fulminait. La veille, elle n'avait pas repris connaissance depuis sa collision avec le tronc d'arbre dans les jardins et n'était sortie de sa torpeur qu'au matin. Mais au petit déjeuner, elle s'énervait déjà vivement contre sa sœur pour le traitement déplorable qu'elle lui avait fait subir à la fin de la soirée.

Mélody, toujours en pyjama et la moitié d'une tartine beurrée encore dans la bouche, bascula la tête sur le côté d'un air incrédule.

- Mais de quoi tu parles ?

Pour elle, l'affaire était close. Elle avait sauvé sa petite sœur des griffes d'un vil personnage qui ne faisait que profiter de sa fortune et de ses charmes pour faire tomber des jeunes filles de condition modeste dans ses filets. Et tout ça pour au final leur briser le cœur en dévoilant sa vraie nature. Mélody savait qu'elle avait bien fait, et que de toute façon Léana retrouverait rapidement un autre bellâtre pour oublier celui-ci, comme toujours.

- Cette fuite, ce... Je ne sais comment qualifier ce qui s'est passé hier soir. Ce gentleman était parfait, galant, attentionné, audacieux. À aucun moment il ne s'est vanté de quoi que ce soit ! J'ai passé une soirée absolument merveilleuse à ses côtés. Et toi, en quelques instants, tu as tout gâché en nous faisant partir comme des malpropres ! Si tu savais comme je te déteste !

De chaudes larmes coulaient sur ses joues et ses yeux avaient rougi pendant qu'elle s'énervait. Elle jeta de rage le petit déjeuner de sa sœur à travers la cuisine, lui laissant seulement sa tartine entre les mains.

Simon, quant à lui, ne comprenait toujours pas ce qui se passait. Ses yeux allaient et venaient entre ses deux filles sans trouver la moindre information.

Mélody rassembla ses forces, avala sa dernière bouchée, respira profondément et se redressa. Elle planta ses yeux dans ceux de sa sœur, bien décidée à lui dire ses quatre vérités.

- Bon, alors maintenant tu vas t'asseoir et tu vas me laisser t'expliquer, dit-elle d'un ton autoritaire.

Léana prit ces paroles comme une gifle, puis se plaça doucement sur une chaise en face d'elle. Ses yeux toujours bouffis foudroyaient sa sœur du regard même si elle semblait prête à écouter ses justifications.

- Ton gentleman, que tu aimes tant, est venu hier au garage pour que je répare son véhicule qui, soit dit en passant, malgré son apparence rutilante, n'avait pas eu une bonne révision depuis au moins des siècles. Alors pour quelqu'un de prévenant, on repassera. Alors que je lui expliquais que, non, je ne possédais pas une baguette magique pour réparer en un seul geste toutes les machines, et que donc il devrait attendre au moins deux jours, il m'a fait une scène pas croyable, digne d'un gamin pourri gâté de huit ans ! Et je ne parle pas de son cruel manque de politesse. Charmant, tu parles ! Enfin bref, ce bellâtre est seulement un fils à papa en mal d'une énième relation éphémère, et tu n'es qu'une fille parmi tant d'autres qu'il aurait voulu arborer sur son tableau de chasse. Tu devrais plutôt me remercier de t'avoir retirée de ses sales pattes !

Mélody avait parlé d'une traite, sans interruption. Son ton acerbe montrait bien la fatigue, mais aussi le désespoir de voir sa sœur se comporter de la sorte, s'énervant pour un garçon qui n'en valait même pas la peine. Elle se tut, reprit sa place à table et attendit que Léana reprenne la parole.

Au bout de quelques instants, la plus jeune sœur brisa le silence en explosant de plus belle.

- Et qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne l'as vu qu'une seule fois !

- Parce que tu l'as vu plus souvent, peut-être ?

- Et c'est certainement toi qui t'es mal comportée avec ce client, avec ton caractère de cochon et tes manières d'homme des cavernes ! tacla la plus jeune.

- Excuse-moi de vouloir faire ma vie autrement qu'aux crochets d'un mari héritier pédant et discourtois et de ne pas me leurrer avec des rêves inaccessibles !

- Et ton Académie Mélusianne, on en parle ? Ça fait combien de fois que tu rates ce stupide examen d'entrée ? Hein ?

- On peut aussi parler de toutes tes auditions où les producteurs devaient te rappeler, et où tu campais devant le téléphone sans que personne ne veuille de toi !

- Les filles, ça suffit !

Simon avait mis fin à cette joute verbale. Il avait l'impression que ses filles avaient régressé d'une bonne dizaine d'années et se disputaient comme dans leur enfance pour un jouet ou pour n'importe quelle autre chose digne de peu d'intérêt. Et ce qu'il détestait par-dessus tout, c'était qu'elles dénigrent leurs rêves respectifs. Il savait qu'elles ne pensaient pas ce qu'elles disaient, mais des paroles proférées sur le ton de l'énervement pouvaient blesser tout autant l'une comme l'autre.

- Tout d'abord, vous allez m'expliquer ce qui s'est passé hier soir, reprit-il sur un ton posé. Puis nous pourrons en discuter tous les trois. Et calmement.

Elles s'empressèrent toutes les deux de raconter leur version des faits, mélangeant le cours des évènements, se coupant la parole et s'injuriant par moment. Simon s'empressait toujours de recadrer directement les deux jeunes filles.

Puis il réfléchit, analysant, pesant le pour et le contre de chaque version, avant de reprendre la parole.

- Léana, ta sœur a toujours veillé sur toi, elle a voulu te protéger, ne le lui reproche pas. Mais je dois reconnaître que ta méthode, Mélody, n'est pas non plus un exemple de délicatesse. Tu aurais dû réfléchir à ce que voulait ta sœur, car, comme elle l'a dit, nous ne connaissons pas ce jeune homme, ni toi, ni elle, ni moi. Malgré toutes tes bonnes intentions, il peut très bien s'agir d'une personne charmante, que tu as rencontrée alors qu'il était de mauvaise humeur. Cela peut arriver à tout le monde.

Léana commença à tirer la langue à sa sœur, se croyant vainqueur de cet échange.

- En revanche, je crois savoir de qui il s'agit, et la situation va être plutôt compliquée à gérer...

Malgré leurs différends, les deux filles se regardèrent, incrédules, puis se tournèrent vers leur père.

- Comment ça ? Qui est-il ? Et comment le sais-tu ? l'interrogea Mélody.

- J'ai revu les papiers que tu as faits hier, notamment ceux de ton dernier client. Et il n'est autre que Lysandre Eudon, le fils du gouverneur.

Cœur Mécanique [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant