Tout a déjà été écrit

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Face à son ordinateur, assis à son bureau, un écrivaillon. Sur son visage la lumière bleue de l'écran. Fantomatique.

L'écrivaillon : Tout a déjà été écrit. Sur mon visage la lumière bleue de l'écran. Fantomatique. Et dans ma tête, cette toujours même phrase qui tourne et pulse comme une migraine. Tout a déjà été écrit. Pas un seul nouveau mot dans ce que je fais, jamais. Et sur l'ensemble de mon roman, puis-je espérer une phrase qui n'ai jamais été écrite ? Tout a déjà été écrit. Les voici les cinq mots paralysateurs de poètes ; la voici l'horrible phrase comme un coup de poing dans l'ego, d'un coup plus rien n'a de sens et « mes mots ont déjà tous été dits ». Alors je métaphorise, à faire des phrases tordues, à ne plus oser parler d'amour avec le mot cœur comme si la terre allait s'ouvrir et je ne sais quel dieu m'envoyer au trou pour avoir utilisé des images devenues vides de sens, érodées par l'usage et le temps. Tout a déjà été écrit. D'où vient-elle cette fierté qui m'interdit la répétition ? D'où vient-elle cette puissance qui d'un coup me fait fermer ma page d'écœurement ? Et cette envie de crier « pas de moi ! », de taper du pied et nier en bloc, « non ce n'est pas moi, pas moi, pas moi, je n'ai pas la fierté mal placée moi, j'écris pour le plaisir et non pour ce que ça donne, ce n'est pas moi ». Foutaises. Mon envie d'écrire est une faim. Un affamé mange-t-il le sandwich qu'il trouve par plaisir ? Mes textes sont des sandwichs rassis que j'avale en espérant combler le trou que j'ai dans le ventre. Tout a déjà été écrit. Qui sont-ils ces poètes qui triment et se jettent yeux grands ouverts contre des murs de dégoût envers eux-même ? Que sont-elles ces âmes englouties dans une tradition d'encre et de papier ? Des passeuses de flambeaux ? Des colosses ou de minuscules à peine visibles grains de poussière ? Tout a déjà été écrit. Plus important, qui sont-elles ces entités qui les poussent à toujours recommencer ? Tout a déjà été écrit. Sur mon clavier les lettres fondent et se noient. Tout a déjà été écrit. Et la faim dévorante qui me tord l'estomac. Tout a déjà été écrit. Peut-être n'est-ce tout simplement pas une raison valable pour arrêter.

Dans les corps souffle le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant