Sommeil

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Si le monde est vaste ses pensées le sont encore plus. Elles se déploient, poussent, fleurissent. Ces mauvaises herbes pourraient être de belles plantes lisses et colorées, leur parfum être en capacité de le réjouir mais ce n'est pas le cas. Leur racines lui encerclent le cerveau, elles empêchent la moindre belle chose de pousser.

Il a des idées noires. Comme ce nouvel objet que les scientifiques viennent d'inventer, tellement sombres qu'elles aspirent chaque once de lumière, qu'on arrive plus à en voir les bords. Tellement sombres qu'elles semblent engluer l'univers entier, engluer ses bras et ses jambes, sa bouche et sa vie.

Le soir, lorsqu'il cherche à s'endormir il entend les mouvements désordonnés de son cœur, comme possédé. Ça l'effraie, il aimerait que la danse s'arrête, que le public applaudisse et que vienne enfin le dernier salut. Disparaître derrière les rideaux, se faire avaler par les draperies, la mer de tissus et tomber.

Le soir, lorsqu'il cherche à s'endormir il entend le sifflement de sa respiration qui sort de ses poumons comme la sève d'un vieil arbre écorché. Si seulement la déforestation qui ravage l'Amazonie voulait bien s'appliquer à son tronc. Les feuilles sont déjà tombées, ont déjà volé une dernière fois dans le tourbillon des sentiments, il ne reste que l'écorce, le bois mort.

Le soir, lorsqu'il cherche à s'endormir il ne cesse de se tourner et retourner. Fatalement, son regard fini par s'abattre sur le cadre photo. Vide. Il n'a pas eu le courage de laisser son portrait, ça lui donnait des hallucinations, comme si elle était encore vivante.

Le soir, lorsqu'il cherche à s'endormir il sent son corps périmé peser lourd dans sur le matelas. Il veut s'enfoncer et ne plus jamais ressortir, c'est certain. Son lit c'est presque une tombe, on est allongé dedans, c'est la famille qui l'a choisi. La seule différence réside dans le prix. Le cercueil, on ne le paye qu'une fois, il ne faut pas renouveler l'action tous les mois. Lui et sa chair ne sont que des poids morts, ils ne demandent qu'à être jetés à la déchetterie.

Le soir lorsqu'il cherche à s'endormir il ne parvient qu'à fixer les murs blancs de sa chambre. La dépersonnalisation est étouffante, le lieux lui-même lui montre qu'il n'a plus d'utilité ni d'entité, qu'il ne sert à rien, qu'on la casé là en attendant qu'il crève.

Le soir, lorsqu'il ne réussit pas à s'endormir il cherche un tout autre sommeil.

Dans les corps souffle le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant