#8 Un idiot, une énigme et une asperge

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« Pourquoi tu ne réfléchis jamais avant d'agir ? »

« Tu sais bien pourtant que Sarah a peur du noir ! »

« Isaak ! Réfléchis un peu bon sang ! »

Quand j'avais dix ans, ma mère m'a emmené voir un spécialiste. Je pense que c'était un psychiatre, mais à cette époque on ne m'avait rien dit. On y était allé après que j'ai une troisième fois mis ma main dans le feu de la cheminée, alors que je savais très bien que ça me brûlerait.

Le spécialiste, ou plutôt le psychiatre, avait dû expliquer à ma mère que j'étais incapable d'utiliser ma raison comme les autres enfants. Je n'étais pas bête, non, ni déficient. J'étais plutôt inattentif, distrait, impulsif. Je ne réfléchissais pas toujours, ne raisonnais pas. « Rien de grave », avait-il dit. Ma mère avait failli s'effondrer.

On m'a prescrit des traitements, je les ai suivis. Mais ça n'a rien changé.

Et aujourd'hui, comme d'habitude, je n'avais pas réfléchi.

C'est le regard de Colin qui me fit réaliser mon erreur. Il n'y avait plus cette tempête que je voyais sans cesse dans ses yeux. Tout était calme, trop calme, jusqu'à en devenir inquiétant. Il avait l'air choqué, mais surtout, quelque chose avait changé dans son regard. Et j'étais incapable de dire si c'était en bien ou en mal.

« Colin, excuse-moi, je n'ai pas réfléchi...articulai-je.

— Tu n'as pas réfléchi ? Comme la dernière fois ? Mais est-ce que tu utilises ton cerveau au moins ? ! »

Ses exclamations soudaines me firent reculer. Je ne pouvais pas lui répondre, car je ne regrettais absolument pas de l'avoir embrassé. Je regrettais juste de l'avoir fait maintenant, dans ces conditions. Je lui avais offert un cadeau pour gagner sa confiance, son affection, et j'avais tout gâché l'instant d'après. Incapable de savoir quoi faire, je ris nerveusement et me frottai le cou. Je n'osais même plus croiser son regard.

« Désolé... J'ai été diagnostiqué débile à la naissance. »

« Mensonge ». En jetant un coup d'œil à son visage, je compris qu'il n'était pas dupe. Il croisa ses bras, l'air agacé, et je reculai à nouveau. Pour une fois, mon petit air de chien battu n'était pas une comédie.

« Pourquoi est-ce que tu n'as pas réfléchi ? »

Cette fois je le regardai, interloqué. C'était vraiment cela qui le dérangeait, et pas le baiser ? Pourquoi est-ce que son sens des priorités était si différent du commun des mortels au juste ?

« Tu... N'es pas fâché que je t'ai embrassé ? demandai-je.

Il rougit doucement. Se racla la gorge.

« Je suis plus fâché par le fait que tu n'as pas réfléchi que de ce que tu as... fait. »

Finalement, cela faisait sens. Après tout, je venais de dire à un esprit qui ne jurait que par la raison que je n'avais pas utilisé la mienne. Ça devait lui sembler tellement stupide et inconscient. Mais au final, c'était ce que j'étais : un garçon stupide et inconscient.

« Dis-moi à quoi te font penser les mots que je vais te dire. Réponds vite. » me dit-il soudainement. 

J'acquiesçai, perplexe, me demandant où il voulait en venir.

« Carotte.

— Nuages.

— Pourquoi « nuages » ?

— Je sais pas, admettai-je en haussant les épaules.

— Logiquement, tu aurais dû penser à des mots comme « orange », « légume », ou même « lapin ». »

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant