#21 Sensibilité et tourte au poulet

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En entrant dans la salle de classe, je me trouvai horriblement stupide. Qu'est-ce qui m'avait pris, de me cacher ainsi ? Ce n'était que Colin... Toujours ce même garçon qui me fascinait, qui malgré son intelligence pouvait se montrer si naïf. Je n'avais pas de raison de me trouver embarrassé, après tout ce n'était pas mon genre.

Cependant, de quel genre étais-je ?

« De celui qui se comporte comme un abruti fini. »

Je ricanai, désabusé. Au premier rang, Colin était déjà assis, et je détournai le regard afin de ne pas croiser le sien. Je m'installai tout au fond, comme à mon habitude, et fut très vite rejoint par Léanne, qui se laissa tomber lourdement sur la chaise à côté de moi. Je lui jetai un coup d'œil. Je n'éprouvais aucune gêne envers elle, bien que l'on ait partagé des moments assez douloureux la veille. J'avais le sentiment que, désormais, nous étions liés par une sympathie mutuelle pour la souffrance de l'autre.

Deux compagnons d'infortune.

En plein milieu du cours, je sentis mon téléphone vibrer et le sortis discrètement pour le consulter. C'était un message de Colin.

« À quoi tu joues ? »

Je souris et lui jetai un coup d'œil, mais il ne me regardait pas. J'étais surpris que Colin fasse autre chose qu'écouter le cours.

« Je ne vois pas de quoi tu parles », lui répondis-je.

« Fais pas le con. »

« C'est compliqué de faire autre chose que ce que je fais d'habitude, tu sais. Tu pourrais arrêter les anagrammes ? »

« Jamais. Mais être con, ce n'est pas ta vocation, Isaak. »

Je mis un peu de temps à répondre à cela. Comme d'habitude, Colin avait bien plus d'estime pour moi que j'en avais de moi-même. Il me cernait si bien, mais moi je ne comprenais rien en ce qui le concernait. Du moins, pas ce qui comptait vraiment.

« Si seulement j'étais arrivé avant Chris », pensai-je avec tristesse.

Je griffonnai ce prénom sur ma feuille, puis le recouvrai d'encre, agacé. Ce connard était l'unique mur qui me séparait de Colin, et il n'était même pas là pour que je lui casse la gueule.

De plus en plus agité, je peinais à rester immobile sur ma chaise. Mon esprit était assailli par tant de choses à la fois, une cacophonie de sentiments qui semblaient ne pouvoir cohabiter. Il fallait que l'un d'eux l'emporte, sans se préoccuper de mon avis à moi, leur hôte.

Sans que je ne l'aie remarquée, trop occupé à ruminer, Léanne s'était penchée vers moi et observait les mouvements de mon stylo. Je la remarquai lorsqu'elle déposa son menton contre mon bras. Il me fallut tout le contrôle du monde pour ne pas lui donner un coup de coude.

« C'est probablement ta première véritable amie. Prends en soin, abruti. »

Inconsciemment, je m'étais mis au fil des jours à m'insulter du même petit mot dont me gratifier régulièrement Colin. Est-ce qu'on pouvait parler d'une réaction post-traumatique à un mauvais traitement ?

Cette monotonie des cours me paraissait d'autant plus insupportable que désormais, mon monde tournait autour de Colin. Je détestais ne pouvoir agir qu'entre les cours, à la pause de midi, le soir... Je voudrais pouvoir l'attaquer toute la journée, lui voler un baiser à n'importe quelle heure, chatouiller sa main...

Amèrement, je me souvins que ce n'était pas uniquement le temps qu'il me manquait. C'était son approbation, également.

« Qu'est-ce que tu fais ? me chuchota mon amie, et je sursautai.

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant