#22 Ego sum fortissimus

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Le plan était simple, mais ne m'empêchait pas de me sentir comme l'un de ces nouveaux agents secrets. Je n'étais même pas l'acteur principal, mais la tension que je ressentais était réelle... Et tout mon espoir résidait maintenant en une seule et même personne : Colin. J'espérais de tout cœur que je ne m'étais pas trompé.

Notre petite stratégie commune m'offrit une excuse pour rester à ses côtés et j'en profitais, ne le quittant pas d'une semelle tout au long de la journée. Je n'avais rien le droit de dire, cependant : il avait clairement annoncé que si je lui mettais la pression d'une quelconque manière, il arrêtait tout et me laisserait me débrouiller seul.

À midi, je m'arrangeai pour que nous mangions non seulement avec Léanne, mais également avec Emilio. Il m'en coûta d'accepter la présence de sa « petite-amie ». En rejoignant la cafétéria, Léanne nous attendait déjà. Colin, elle et moi nous installèrent à une table libre, et il nous fallut attendre le petit couple une vingtaine de minutes.

« Excusez-nous ! Quelque chose nous a retardé », retentit une voix plus grave que je ne l'aurais douté.

Je me retournai pour voir Jane arriver, un sourire éclatant sur le visage. Je fronçai les sourcils immédiatement. Les grands sourires c'était ma spécialité. Et le sien... Était tout bonnement laid. À mi-chemin entre le mensonge et le mépris.

Je n'avais jamais autant abhorré un sourire de toute ma vie.

Plutôt que de fusiller la malheureuse de mon regard, je dardai celui-ci sur Emilio, qui arrivait juste derrière elle. Il était difficile de passer à côté de l'immense suçon qui recouvrait son cou, comme si tout un pan de peau était nécrosé. Je comprenais l'origine de leur « retard ». Puisque personne ne leur dit rien, ils s'assirent chacun d'un côté de la table. Jane prit place à côté de Colin, ce qui ne manqua pas de me faire froncer les sourcils puisque je me tenais de l'autre côté de mon ami, et Emilio s'assit en face de nous, avec Léanne.

Je ne fis aucun commentaire sur cette disposition, mais j'espérais que Colin observait les mêmes choses que moi. Malgré la présence d'une inconnue à ses côtés, il resta étonnamment silencieux et immobile, se contentant de manger son repas. J'osai finalement jeter un coup d'œil vers Léanne, et regrettai aussitôt.

La pauvre était devenue blanche comme un linge en voyant arriver le couple. Je ne savais pas si c'était parce que cela l'affectait vraiment, où parce que Emilio était juste à côté d'elle.

Un silence de plomb s'abattit sur la table, chacun n'osant prononcer un mot. C'est Jane qui parla la première, sans doute peu habituée à ce genre d'ambiance. À sa décharge, son petit groupe de pimbêches devait lui manquer.

« Enchantée, les gars ! Je m'appelle Jane, je suis la copine d'Emilio. » se présenta-t-elle, et le coin de mes lèvres tiqua.

Mais puisque mon but n'était pas non plus de m'en faire une ennemie dès le début, je m'efforçai de revêtir mon sourire le plus lumineux, et me penchai sur la table pour l'apercevoir. J'ouvris les lèvres dans le but de la saluer, mais une autre voix m'interrompit.

« Avec le suçon que tu lui as fait, c'était évident, merci. »

Je fis les yeux ronds à Colin, parce qu'évidemment, c'était de lui, et lui donnait un petit coup dans les côtes. À ce stade je ne savais plus si je préférais le Colin insociable et silencieux, ou celui qui crachait sa franchise à tout bout de champ.

« Euh... Et tu es Colin Millers, c'est ça ? bafouilla-t-elle, et je saluai son calme.

— C'est ça.

— Tu te prends pour qui ? »

Je déglutis, incapable pourtant d'intervenir. La situation m'avait tout l'air de dégénérer à vitesse grand V. Jane m'avait tout l'air de quelqu'un qui avait bien plus de jugeote qu'elle ne le laissait croire, mais elle n'était visiblement pas de ceux qui se laissaient marcher dessus. Colin, qui jusqu'ici s'était contenté de parler tout en gardant le regard sur son assiette, posa sa fourchette et se redressa, sans pour autant croiser les yeux de Jane. Celle-ci, en se voyant ignorée, serra les dents et poussa un léger grognement. 

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant