#1 Parfum chocolat pistache et carambar

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"L'amour ne voit pas avec les yeux mais avec l'imagination; aussi représente-t-on aveugle Cupidon ailé. L'amour en son imagination n'a pas le goût du jugement"

Extrait de Songe d'une nuit d'été, William Shakespeare.

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   Je refermai mon livre en soupirant, déviant mon regard vers la fenêtre qui donnait sur la cour triste et désolée du lycée. Depuis notre salle de classe nous parvenait un brouhaha ténu du terrain d'athlétisme, caché par un bâtiment semblable à celui dans lequel nous nous trouvions. Sans doute une classe de pauvres adolescents apathiques s'exerçait à la course, alors que la chaleur de septembre abrutissait cet après-midi chaque élève sans exception, moi y compris.

« Isaak, je vous surprends encore à rêvasser et ce sera la retenue ! » s'exclama soudainement Madame Lobeck.

Je sursautai, pris sur le fait. Une expression mi-boudeuse mi-coupable soigneusement construite sur mon visage suffit à stopper l'accès de colère de cette petite femme ronde et énergique. Elle se concentra bien vite à nouveau sur le cours passionnant qu'elle donnait à des élèves tout aussi passionnés. Belle plaisanterie que voilà ! Madame Lobeck était notre professeure de mathématiques et avait cette incroyable faculté de repérer quiconque se désintéressait de son cours. De ce fait, jamais personne n'avait encore réussi à s'endormir, puisqu'elle les interrompait avant même qu'ils ne pensent à le faire. Ses yeux de faucon parcouraient sans relâche la salle de classe lorsqu'elle parlait, à la recherche de celui qui aurait le malheur de ne plus prêter attention à sa voix rocailleuse, sans doute à cause de la cigarette, à son écriture illisible  qui recouvrait le tableau, ou aux captivantes équations et fonctions qu'elle tentait d'expliquer.

Renfrogné, un sourire moqueur me collait pourtant au visage. Me voilà ajouté à l'annuaire de ses victimes, et je pouvais désormais rayer les mathématiques de ma liste de cours destinés à la rêverie. « On ne peut pas échapper éternellement à Œil-de-faucon » pensais-je. Mon voisin de table – Milo je crois – pouffa, et je lui jetai un regard furieux. En guise de vengeance, je défis sa coiffure si méticuleusement travaillée, et il cessa immédiatement de s'amuser de mon sort.

Je dirigeai finalement mon regard vide de toute motivation vers le tableau blanc, sur lequel une multitude d'équations se battaient en duel. Profondément ennuyé, je n'essayai même pas de comprendre le cours. En y réfléchissant bien, je n'investissais jamais plus de 10 % de ma concentration dans ces derniers. Pour être honnête, mes capacités intellectuelles étaient assez limitées, et je me contentais généralement de jouer au figurant durant la journée, patientant jusqu'à la fin. Mes professeurs ne me comprenaient pas. A 17 ans, j'avais passé les années précédentes au bord de l'exclusion, et cette dernière année de lycée ne s'annonçait pas sous de meilleurs auspices. Bien entendu, j'étais conscient des répercussions qu'aurait mon comportement sur mon avenir. J'avais eu droit à des sermons interminables de la part de mon beau-père durant tout l'été, mais cela n'avait absolument rien changé. Mon intellect avait beau être empli de bonne volonté, mon esprit s'en fichait complètement et n'en faisait qu'à sa tête.

Quand la sonnerie retentit, libérant un flot d'élèves pressés dans les couloirs du bâtiment, je fus l'un des premiers fuyards et savourai le vacarme de la foule avec un sourire ravi. J'aimais le bruit, la foule, la proximité de ces corps qui se bousculaient sans ménagement, se heurtaient les uns contre les autres. Quelques garçons et deux filles me rejoignirent rapidement, bourdonnant autour de ma personne sans que je ne leur ai rien demandé. Pourtant je les laissai faire, indifférent à leur présence comme à leur absence.

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant