#2 Un paradoxe, un sourire et Hélène

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« Euh... Salut... Moi c'est Isaak. »

On avait déjà vu de meilleures introductions que celle-ci, seulement mon inspiration habituellement fructueuse avait disparu lorsque nos regards s'étaient croisés. La vitalité de mes yeux noisette s'était instantanément perdue dans le gouffre sans fond qu'étaient les siens, à l'image d'une étoile solitaire égarée dans le vide d'un ciel nocturne. Une sensation dérangeante, et pourtant délicieuse à sa manière, que je n'avais encore jamais ressentie. Son regard était unique, déstabilisant, et agissait comme un trou noir prêt à absorber tout ce qui s'approcherait trop près de lui.

« Et moi Colin. Un problème ? »

« Tu es mon problème » faillit traverser mes lèvres. A la place je secouai vivement la tête, un sourire béat collé au visage. Puisque je restais silencieux, le garçon observait autour de lui, cherchant sans doute une raison à mon apparition soudaine. Mais il n'y en avait pas, et cela valait pour toutes les actions inconsidérées que j'avais pu faire dans ma courte vie. Finalement, il se décida à s'éloigner, prenant le parti de m'ignorer, moi, le blondinet étrange qui n'avait rien prononcé d'autre que son propre nom. Je fixai son dos de longues secondes tandis qu'il continua sa route, savourant son prénom sur ma langue. Colin... Colin. Je me rappelais chaque détail, de sa voix pleine de suffisance et indifférente, à ses sourcils doucement froncés quand je l'avais apostrophé.

« Colin... »

Quand il eut complètement disparu de ma vue je rebroussai finalement chemin, toutes mes pensées tournées vers cet étrange garçon. Ma curiosité était définitivement piquée, ma nature obsessionnelle prête à agir. Seulement, il n'y avait qu'un pourcentage infime de chance pour moi de revoir Colin. Je grondai ma stupidité pour ne pas avoir pensé à lui demander son nom de famille. Combien de Colin vivaient à New York, au juste ?

« Isaak, t'étais passé où ? », me reprocha Jake, les bras croisés.

Je l'avais sans doute offensé en partant sans prévenir, mais je m'en fichais. Jake n'était que l'un de ces figurants qui tournaient autour de moi à mes yeux, et même si, à une époque, il avait été l'une de mes nombreuses obsessions, il n'avait pas fait long feu et je m'étais beaucoup trop rapidement désintéressé de lui. En tant que parfait lycéen modèle, sportif, tombeur de ses dames et charismatique, il m'avait intrigué. Seulement, je m'étais vite rendu compte que ce genre de personnage m'ennuyait à mourir, et je fuyais l'ennui comme un cerf fuyait son chasseur. À toutes jambes.

Je me rassis en récupérant ma glace des mains de Jake et me remis à manger comme si de rien n'était, observant tour à tour les adolescents installés près de nous. Ce groupe venait de perdre tout intérêt à mes yeux, mais je ne leur en voulais pas.

« Je rentre. », annonçai-je finalement.

Sans écouter leurs reproches plaintifs, je me levai, récupérant mon sac, et saluai le gérant du lieu d'un faux sourire. J'avais hâte de rentrer chez moi. M'affaler sur mon canapé. M'abrutir devant la télévision. Mais avant...

« Est-ce que vous connaissez un Colin ?

— À part celui qui est dans notre classe..., commença Milo.

— On a un Colin dans notre classe ?! m'exclamai-je, réellement surpris.

— Isaak, tu pourrais au moins faire semblant de connaître ceux qui sont dans ta classe... »

Il ne reçut aucune réponse puisque j'étais déjà parti.

Comme la majorité des élèves de ce lycée, je vivais à seulement deux arrêts de bus, dans l'un de ces nombreux quartiers où les immeubles à deux étages identiques se succédaient le long des rues en quadrillage de Brooklyn. À pieds, cela équivalait à une vingtaine de minutes de marche, et une dizaine de minutes en transport en commun. Ce jour-là, je trouvai le courage de rentrer en utilisant mes jambes, et je fus même étonnamment rapide. « Ah Colin... Tu me fais pousser des ailes », pensai-je en souriant naïvement. Maintenant qu'une chance de le revoir persistait, ma curiosité s'en trouvait décuplée.

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant