#30 Café, blague et jus de fruits

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Une fois dans l'appartement, de nombreuses odeurs me prirent à la gorge à l'instant, et j'identifiai rapidement leur provenance en jetant un coup d'œil dans la cuisine. Les denrées alimentaires, faute sans doute de place suffisante, s'entassaient un peu partout, du plan de travail au sommet du réfrigérateur, en passant par la table à manger. Mme Jimenez et son mari nous conduisirent dans le salon, où une petite fille fixait d'un air hébété la télévision. Du petit poste s'élevait un grésillement désagréable, témoignant de la vieillesse de l'engin.

« Cariño, va jouer dans ta chambre. »

La petite afficha ouvertement son agacement mais obtempéra face au ton inflexible de sa mère. Elle avait le visage candide de l'enfance, mais une lucidité qu'on attribuait aux débuts de l'adolescence. M. Jimenez éteignit le téléviseur, et le couple nous indiqua de prendre place sur le sofa, tandis qu'ils réunissaient deux chaises autour de la petite table basse. Celle-ci croulait sous les magazines et les jouets en plastique.

« Excusez-nous pour le bazar. Nous n'avions jamais reçu d'amis d'Emilio avant... s'excusa M. Jimenez.

— Ne vous inquiétez pas, il n'y a aucun problème », leur assura immédiatement Léanne.

Nous nous regardâmes un instant, incertains de la manière dont nous devions procéder. Un millier de questions se bousculaient dans ma tête, et mon désir furieux de revoir rapidement Colin ne m'aidait absolument pas à réfléchir correctement.

« Vous ne savez donc pas où se trouve Emilio ? nous demanda le père, me ramenant brutalement à la réalité.

— Il nous a dit qu'il passait la journée en entraînement spécial avec son équipe de foot extrascolaire. C'est quelque chose qu'il fait souvent, alors on ne s'est pas posé de questions, leur expliqua Léanne.

— Il le fait régulièrement, c'est vrai, acquiesça Mme Jimenez. Mais pourquoi ne nous avoir rien dit ? Ce n'est pas quelque chose qu'il voudrait cacher.

— Je n'en ai pas la moindre idée, se désola mon amie.

— Attendez un instant. »

Le père d'Emilio s'excusa et se leva, s'éloignant dans la cuisine. Nous l'entendîmes appeler quelqu'un et lui adresser quelques mots, étouffés par le vacarme des voitures en contrebas de l'immeuble. L'appartement était manifestement en piteux état, et je me demandai alors quelle devait être la situation de la famille d'Emilio, pour qu'ils soient contraints de vivre ici. Mon ami ne m'avait jamais parlé de quelconques problèmes... Mais à bien y réfléchir, il ne parlait jamais de sa famille. Je ne savais même pas qu'il avait une petite sœur !

« J'ai appelé l'entraîneur d'Emilio, nous annonça M. Jimenez en revenant vers nous. Aucun entraînement particulier n'était prévu aujourd'hui, il n'a pas vu Emilio depuis celui de la semaine dernière.

— Où est-il, alors ? » s'inquiéta sa mère.

C'est ce moment que choisit mon cerveau pour s'éveiller et je me saisis de mon téléphone pour tenter d'appeler Emilio. Les parents de mon ami et Léanne m'observèrent tandis que la sonnerie retentissait. Mais personne ne décrocha, et je soupirai lourdement.

« Je crois qu'il n'a pas vraiment envie qu'on le trouve, concluai-je finalement.

— Oh dios, vous croyez qu'il a fugué ? s'alarma sa mère.

— Ce n'est pas son genre. On n'a jamais eu de problème avec lui, avant », lui rappela son mari.

Puisque la conversation tournait en rond, et que nous en étions venus à la conclusion qu'il rentrerait bien un jour, Léanne et moi prîmes congé de la famille d'Emilio après une dizaine de minutes. Sa mère nous proposa bien de manger quelque chose, une spécialité mexicaine je crois, avant de partir, mais ni Léanne ni moi n'étions d'humeur à manger.

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant