#18 Chewing-gum fondu

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L'infirmière me libéra avant la fin de mes cours, mais je rentrai chez moi directement, bouleversé. Il m'avait fallu lui expliquer que les larmes dans mes yeux étaient dues à la douleur, sans préciser de laquelle je parlais... Car ce n'était pas mon corps qui me faisait souffrir.

Tout en marchant dans les rues, j'essayais de relativiser. Il ne fallait pas que je saute aux conclusions, le départ de Colin n'était pas nécessairement synonyme de rejet. Le surdoué était un spécialiste de la fuite après tout, je ne devais pas m'en formaliser. Pourtant, si je devais être honnête, ce n'était pas le départ de Colin qui faisait couler ces perles salées sur mes joues...

Non, j'étais l'unique coupable. Ce qui me bouleversait véritablement, c'était l'ampleur, l'intensité de ce que je ressentais en cet instant, cette émotion que je ne connaissais pas habituellement... car je n'avais jamais été quelqu'un de très émotif. Cependant Colin, avec ses constellations et son indifférence, m'avait fait tomber dans une mare gluante de sentiments roses et écœurants à souhait, de laquelle je ne parvenais pas à me dépêtrer.

« L'amour, c'est du chewing-gum fondu », pensai-je amèrement.

Sauf qu'il était hors de question que je me noie seul. Si je devais succomber, ce serait avec Colin... Sinon j'étais certain de mourir seul, vieux, aigri. Comme la vieille Ruth avec son chat dans l'immeuble voisin. Un chat... comme Colin. J'aimerais tellement qu'il devienne le mien, alors je pourrais mourir seul, vieux, aigri, avec Colin. Le paradis.

Je manquai de rater ma porte d'entrée, et peinai à l'ouvrir. J'avais l'impression que la seconde vague de larme que je tentais avec désespoir de retenir faisait bélier sur la cloison de mes yeux, et que je ne tiendrais plus très longtemps.

La porte céda enfin, je me précipitai à l'intérieur de l'appartement. Je n'allumai aucune lumière et me rendis simplement dans ma chambre, où je m'affalai sur le lit. Tout ça, c'était ridicule, et j'essayais de m'en convaincre pour cesser mes larmes... Mais rien à faire. J'étais comme un enfant qui découvrait la colère, la peur, la tristesse. Et j'étais certainement les trois à la fois.

En colère contre moi-même, d'abord pour avoir fait l'impensable et ensuite pour n'être pas allé au bout. La peur de voir Colin disparaître de ma vie, me rejeter à tout jamais... et la tristesse, la tristesse de l'avoir vu partir alors que je ne désirais qu'une chose : qu'il reste près de moi.

D'un geste las, j'allumai les nombreux petits boîtiers qui étaient fixés à mon mur, et une vingtaine de guirlandes illuminèrent ma chambre d'une centaine de petites étoiles électriques. Je me tournai sur le dos, fixai le plafond devenu un ciel de nuit, et sourit doucement. Ce paysage que j'avais créé dans ma chambre, c'était l'une des seules choses qui pouvaient m'apaiser.

Je parcourus les petites lumières parfois clignotantes des yeux, repensai aux grains de beauté de Colin. Merde, je n'arrivais pas à m'arrêter de pleurer.

La journée de cours suivante se passa sans moi. Le cœur lourd, je n'eu pas le courage de me lever du lit pour autre chose que mes besoins naturels. Cette apathie, je ne la devais pas plus à la fuite de Colin qu'à la soudaine réalisation de ces sentiments brutaux que je ne connaissais pas. Je mentirais si je prétendais que je n'avais pas peur. J'étais terrifié, bouleversé, le cœur au bord des lèvres.

Le téléphone dans la main depuis mon réveil, j'hésitais à appeler Colin. Si je l'appelais, quelle était la probabilité qu'il réponde ? Il était certainement en cours, jamais il ne me répondrait, ne serait-ce qu'à la pause. Et puis, s'il décrochait, qu'est-ce que je lui dirais ? Je lui avais tant donné, déjà.

Après être resté allongé toute la matinée, je décidai vers midi que je pouvais au moins me faire à manger. Keith était parti travailler, j'étais seul dans l'appartement. Sans aucune énergie je me levai, seulement vêtu d'un bas de pyjama qui appartenait à Emilio, ce qui expliquait qu'il tombât autant sur mes hanches. Face à mon ami, j'avais le corps d'un poulet.

Cacophonie des cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant