La première étape de mon plan était simple : j'allais observer, plus particulièrement observer ses réactions lorsque je le provoquais. Léanne m'avait dit qu'il ne semblait pas m'en vouloir, notre relation devait donc demeurer inchangée. S'il ne m'ignorait pas, la situation était grandement simplifiée pour moi !
Ainsi, je revins le lendemain en cours avec une confiance qui devait paraître comique puisqu'on me fit plusieurs fois la remarque que je gonflais le torse bien plus que nécessaire. En retrouvant Colin ce matin, mon cœur s'allégea presque immédiatement, pourtant une partie de moi demeura inquiète. Le trouble qui s'était installé en moi depuis l'infirmerie ne semblait pas vouloir partir, malgré tous mes efforts.
C'était comme si mon cœur tentait d'assimiler un corps étranger, ce sentiment d'amour que je n'avais jamais ressenti avant, ou du moins pas avec cette intensité. Et l'assimilation forcée rendait le tout terriblement douloureux.
Heureusement, Léanne avait accepté de m'aider. Aussi, au moment où je me sentis flancher, elle se chargea d'appeler Colin pour qu'il me rejoigne devant le lycée. Après être descendu du bus, il nous remarqua et se rapprocha tranquillement, le visage si impassible que je ressentis une colère sourde, accompagné d'un désir furieux de déformer cette impassibilité.
« Salut Colin ! » l'accueillit Léanne avec énergie.
Il inclina la tête dans sa direction sans répondre, comme s'il lui suffisait seulement de considérer sa présence, et après ça se tourna immédiatement vers moi.
« Tu n'étais pas là hier, fit-il remarquer. Tu étais malade ?
— Euh, je... bafouillai-je, embêté. Oui, je me sentais mal, j'ai préféré dormir. Désolé je ne t'ai pas prévenu que tu mangerais seul. Ça a dû te manquer !
— Pas vraiment. »
Sur ces mots encourageants il nous dépassa et entra dans le bâtiment où nous avions cours. Je restai muet un instant, puis grognai, emboîtant le pas à Colin sous le rire bruyant de Léanne. J'entrai dans la salle de classe et pris place d'autorité à côté de celui qui me fascinait tant. J'accusai en silence son regard réprobateur et continuais de sourire doucement, lui jetant de temps en temps un regard en coin.
Le cours commença sans encombre et je me tins sage, si étrangement silencieux que Colin ne put s'empêcher de m'observer quelques fois, sans doute surpris. Je prétendis ne rien voir, retenant mon sourire de s'agrandir.
À un moment donné cependant je ne pus résister, et en remarquant que sa main droite était posée sur son genou, je la pris dans la mienne le plus doucement possible, effleurai son pouce du mien. Il ne tarda pas à tourner son visage vers moi, incrédule, et je lui souris doucement. Je priai silencieusement pour qu'il ne retire pas sa main, et il sembla hésiter, sans pour autant oser bouger.
« Isaak, concentrez-vous sur votre cours, pas sur votre voisin. »
La voix du professeur nous surprit et Colin retira précipitamment sa main pour se reconcentrer sur le cours, les joues doucement rougies. Je murmurai une insulte et me détournai, terriblement déçu. Tout allait si bien !
La journée se répéta de la même manière. Je multipliai les moments de rapprochements, profitai de la pétrification de Colin chaque fois. J'ignorais pourquoi il réagissait comme cela, mais ça contribuait à me donner de l'espoir, me provoquait mille joies vertigineuses.
Jamais il ne me demanda d'arrêter, jamais je ne lui parlai plus intimement. Nous étions toujours comme ça : nous préférions vivre, demeurer incompris, plutôt que de mettre des mots sur mes agissements et ses réactions. C'était la source de beaucoup d'incompréhensions, de quiproquos, mais ça ne changerait certainement jamais.
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Cacophonie des cœurs
Romansa« L'amour, c'est du chewing-gum fondu. » Isaak Harris, un jeune homme lumineux et atypique, entre en dernière année de secondaire. Les banalités adolescentes ne le préoccupent pas, pas plus que ses notes catastrophiques. Mais alors que son cœur deme...