Éclats du passé

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        Quelqu'un frappa à la porte. On venait sûrement me chercher. Mme Belinski lâcha enfin son carnet et se leva pour aller ouvrir. À ma grande surprise, ce fut mon père qui entra. L'homme de la cinquantaine et maigrelet dominait tout le monde avec sa taille de géant. Ma mère et moi nous nous amusions souvent à le comparer à un flamant rose avec son air sérieux et fier de lui. Ses cheveux, qui n'avaient pas tardé à devenir gris à travers le temps, étaient fraichement et proprement plaqués en arrière et tenaient parfaitement en place. Aucune mèche ne dépassait de cette sculpture capillaire.  Il avait toujours l'habitude de tout analyser en détails, faute de son travail, il scrutait sans arrêt les moindres recoins des pièces dans lesquelles il se rendait. Ses yeux verts perçants faisaient des allers et retours incessants tels les pattes métalliques d'une machine à écrire qui devait retranscrire tous ce que ses globes oculaires voyaient. Son nez bombé était surmonté d'une imposante paire de lunettes carrés modernes qui lui donnait l'aspect d'un qui n'avait pas l'air de plaisanter avec son job. J'étais étonnée de sa présence dans le cabinet. Pas une seule fois il avait essayé de communiquer avec moi ou ma mère pour en savoir plus sur la situation et malgré cela, il était quand même venu me chercher à mon grand étonnement. Il s'avança vers le médecin et lui tendit sa grande main.

- " Bonjour Docteur." dit-il à la psychothérapeute en lui enserrant les doigts.

- " Bonjour Monsieur. " lui renvoya-t-elle comme salutation.

Je devinai un petit désagrément de la part du médecin, qui devait être dû à la poigne de mon père que tout le monde avait toujours décrite comme trop forte. Ce n'était pas de sa faute, il n'avait jamais appris à contrôler sa force, que personne ne soupçonnait à cause de son gabarit de bambou. 

- " Tout c'est bien passé ? "

- " On peut dire que oui, il y a eu une grande progression aujourd'hui. " annonça-t-elle simplement

Mon père acquiesça de la tête et quelques minutes plus tard, nous sortîmes du cabinet. Toujours en silence, nous nous dirigeâmes vers la voiture et nous entrâmes dedans. Nous démarrâmes.

La maison ne se trouvait pas bien loin du centre ville dans lequel se trouvait le cabinet du Docteur Belinski. Nous mettions habituellement une dizaine de minutes à revenir chez  nous pourtant aujourd'hui, je me doutais bien qu'il serait plus long au vu de l'expression de mon paternel. Nous restâmes quelques secondes sans rien nous dire puis il appuya sur le bouton qui était censé faire démarrer le lecteur de disque. La musique country inonda le petit espace dans lequel nous nous trouvions. Il n'y avait que mon père pour aimer ce genre de chanson et moi-même je me demandais comment cela était-il possible. Le malaise était présent. Le son venant des États-Unis résonnait avec insistance mais mon chauffeur n'esquissait pas le moindre sourire, ce qui se produisait rarement à l'écoute de celui-ci.

Lorsque, arrivée dans notre quartier, la voiture bifurqua à droite au lieu de gauche, je compris ce que mon père avait l'intention de faire. Il continua de rouler et nous nous arrêtâmes plus loin sur un parking désert, presque abandonné qui servait généralement aux randonneurs à se garer avant d'entamer leur balade dans les bois longeant cette aire. Il faisait toujours cela en période de "crise" ce qui aidait à régler le moindre conflit entre nous deux. Cette méthode fonctionnait à tous les coups et nous ne faisions cette démarche qu'à deux. Cette fois-ci, il n'était pas question d'une simple bagarre. Je m'attendais bien au sujet à propos duquel nous allions commencer à parler même si je ne m'y étais pas vraiment préparée. Impossible de l'éviter...

     À l'ombre d'un grand arbre, le calme et la sérénité semblaient régner sur cette vaste plaine de béton. J'ouvris la fenêtre pour inspirer un peu d'air frais et me dire que je devrais assumer chaque parole qui allait suivre si cela devait mal tourner. Ce moment allait être douloureux pour nous deux mais nous ne pouvions pas nous taire l'un et l'autre.

StockholmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant