CHAPITRE 39

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L'entrée principale était bloquée par l'effondrement de l'enseigne lumineuse. Il y avait encore écrit « Futurmarket, venez faire des emplettes ! » en lettres capitales. Nïne conduisit Jow et Tristaan à l'intérieur par une porte vitrée brisée depuis des lustres. L'endroit était comme il l'avait imaginé, à l'exception des gros trous dans le sol qui laissaient apercevoir un sous-sol administratif et de nombreux excréments de rats et nids d'oiseaux cachés dans les poutres du plafond. Tristaan prit les conseils de leur guide au sérieux.

— Tiens Tristaan ! Viens avec moi, j'ai besoin que tu m'apportes quelques petites choses. Il me faudrait des briquets et du papier d'aluminium, tu trouveras ça vers les caisses.

— Ça marche !

Jow se rendit avec précaution au rayon hygiène. Tristaan trouva les produits et le rejoignit quelques minutes plus tard. Il faisait provision de déodorant et de bouteilles d'eau.

— On a bien assez d'eau tu sais ? Et ça ne sert à rien de mettre du déo si tu ne te douches pas.

— Je sais bien ! C'est pour faire des bombes artisanales.

— Tu peux vraiment... ?

— Assez discuté les garçons, je vous attends ! cria Nïne de l'autre côté du magasin.

Comme des enfants boudeurs, ils rejoignirent la guerrière. Ils la suivirent dans un escalier menant au sous-sol qui, heureusement, était en partie découvert et la proie de la lumière du jour. Ils déambulèrent dans un labyrinthe de murs crayeux qui tombaient en poussière et s'arrêtèrent à proximité d'un gouffre dans le sol.

— Un parking souterrain ? s'étonna Jow. Mais jusqu'où s'enfonce ce magasin ?

— Plus loin que tu ne le penses.

— Il est bouché par la terre, où est-ce que vous nous emmenez Nïne ?

— Tu verras ! Nous ne sommes plus très loin du but.

Nïne mena la marche tandis que Jow la fermait. Malgré toutes ces précautions, Tristaan n'était pas rassuré de ramper dans ces passages étroits. Cela lui rappelait sa douloureuse expérience dans les conduits de l'Undersky avant sa venue à la Pénombre. En progressant, Nïne commença son récit, haletante :

— Le Clan des Loups est un des plus vieux, avec celui des Scorpions. Graant et moi avons accepté de collaborer avec ton clan, Jow, car nous savons que vous êtes honnêtes et un véritable atout dans la guerre. Certes, nous n'avons pas toujours été d'accord sur tous les fronts mais Graant a confiance en vous.

— C'est gentil de votre part mais...

— Je veux simplement que vous sachiez que notre confiance est réciproque et c'est une chose non négligeable dans une alliance. Mais reprenons pour Tristaan... Au départ, il existait un clan unique établi dans la Pénombre. Petit à petit, à force de cohabitation et d'organisation, trois clans se sont créés. Tous voulaient vivre d'une manière différente et prônaient des valeurs différentes, alors les clans des Loups, des Scorpions et des Chauves-souris ont vu le jour.

— Qu'en est-il des autres clans ?

— Les Ours, si tant est que nous ne les avons pas imaginés, sont arrivés un peu plus tard, issus de nos clans respectifs. Et un jour, des jeunes orphelins ont atterri ici, complètement désorientés. On leur a expliqué la situation et ils ont décidé de créer leur propre clan. C'étaient les plus jeunes, mais pas les plus stupides de la Pénombre. Ils prirent la place du Quartier Chaud et nommèrent leur groupe...

— ... le Clan du Lézard, compléta Tristaan.

— Exactement. Érïn et son frère faisaient partie du lot.

Ils s'interrompirent soudain pour réaliser qu'ils se trouvaient dans une immense cavité creusée sous le parking souterrain. Un filet de lumière traversait le plafond et perçait la pénombre de la grotte. Tristaan ne se rendait pas compte à quel point il était profondément enfoncé sous terre.

— Attendez Nïne, qui est le frère d'Érïn ?

— Jacob du Clan du Lézard, il en était même le chef.

— Elle ne m'avait rien dit...

— Je ne la connais pas depuis longtemps mais c'est une fille bien mystérieuse ! s'exclama Jow.

— Tristaan, t'es-tu déjà posé la question ? Pourquoi se bat-elle, à ton avis ? Chacun ici et dans cette guerre, a une raison de se battre. Moi, c'est pour mon peuple et tout ce qu'on a construit Graant et moi.

— Moi c'est pour ma famille, elle est très précieuse à mes yeux, ajouta Jow.

— Et moi... hésita Tristaan, c'est pour les miens aussi, ceux que j'aime avant tout. Et pour elle, pour Érïn.

L'émotion lui coupa la respiration pendant quelques secondes. Nïne et Jow ne dirent rien, par pudeur. Ils comprenaient eux aussi, même si Tristaan venait d'un monde différent. L'amour sous toutes ses formes était universel.

— Et Érïn ? reprit-il.

— Elle se bat pour lui, en sa mémoire.

Il hocha la tête en silence, puis il se tourna vers Nïne avec un regard déterminé.

— Alors, montrez-moi ce pourquoi nous sommes ici.

La guerrière se retourna vers un immense monticule surmonté d'un drap terreux. La chose qu'elle couvrait était si grande qu'elle touchait presque le plafond. Nïne se dirigea vers un système de poulies et de cordes et intima les garçons à l'aider. Le mécanisme s'activa sous leurs efforts réunis et le drap glissa. Entre deux halètements, Tristaan ne put retenir un éclat d'admiration. D'une carrure sauvage et majestueuse, un ptérodactyle géant déployait ses ailes édentées dans la grotte. Figé comme une statue gigantesque emprisonnée dans le temps, l'animal l'observait d'un œil vitreux.

— Il est... il est... commença Jow.

— Magnifique ! s'écria le jeune homme.

— Belle bête n'est-ce pas ? C'était la mascotte du magasin, une espèce d'attraction pour les enfants aussi. On l'a trouvé là à notre arrivée. Je n'aurai jamais cru qu'on l'utiliserait un jour...

— C'est une sorte d'automate ? Il fonctionne toujours ?

— Oui et non, enfin je ne sais pas. C'est pour ça que je t'ai amené ici Tristaan, pour que tu le répares.

— C'est bien beau tout ça, commenta le maître des explosifs, mais à quoi il va nous servir ?

Nïne répondit comme une évidence :

— À nous rendre sur le territoire du Clan des Ours !

Les Clans de la Pénombre | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant