CHAPITRE 31

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— Votre idée est risquée mais c'est peut-être notre seule chance. Je place tous mes espoirs en vous, alors ne me décevez pas. Je vous confie trois de mes plus fidèles soldats, essayez de me les ramener vivants. Et vous aussi par la même occasion. Le Clan du Scorpion compte sur vous.

Telles furent les dernières paroles prononcées par Björn avant que Tristaan et Érïn ne repartent, accompagnés de l'escouade promise. Elle se composait de Lïam qui avait insisté pour venir afin d'épauler celle qu'il considérait presque comme sa sœur, de Félicïa qu'ils avaient rencontrée de façon musclée dès leur arrivée au clan et d'un autre vétéran du nom de Jow. Leur nouvel objectif consistait à traverser le Quartier infernal dirigé par les Flammes en passant sur la rivière funèbre dans la plus grande discrétion possible, afin d'atteindre le Clan des Loups où ils espéraient trouver du renfort. Du suicide, s'il n'avait pas avec eux un petit bijou bricolé par Tristaan lui-même, une sorte de version améliorée de l'engin qui les avait couverts lors de leur première mission dans le repaire de Raalph. En y repensant, Érïn eut l'impression que tout cela ne venait que d'un lointain passé...

Ils quittèrent la décharge et s'engagèrent sur le reste du territoire des Scorpions, longeant la rivière boueuse qu'ils devraient descendre le soir venu. Ils attendraient que l'atmosphère se fasse très sombre afin de passer le plus inaperçu possible. Une chance que la plupart des Flammes se trouvaient sur Goldhaven. Une chance également que leur idée soit tellement folle que leurs ennemis ne penseraient pas qu'ils oseraient traverser leur territoire sur toute sa longueur le long d'un cours d'eau pollué et plein de pétrole.

La route fut longue. Ils étaient partis à l'aube et, au milieu de l'après-midi, ils passèrent devant un pont détruit dont il ne restait que des débris sur chaque berge, s'avançant au-dessus du cours d'eau nauséabond comme deux dents pourries arrachées d'une mâchoire. C'est là qu'ils firent une pause pour reprendre des forces et répéter une énième fois le plan énoncé avant de partir. Assis à même la terre autour de leurs maigres rations, les cinq membres de la troupe avaient l'air plus ou moins nerveux. Tristaan mangea sa bouillie de céréales tout en réglant son engin, Lïam refit leur scénario une dernière fois en manipulant divers objets sur le sol, Félicïa écouta les alentour afin de deviner si des ennemis se tenaient dans le coin, Jow rechargea son blaster et Érïn observa toute cette troupe se préparer à leur mission angoissante. Même elle ressentait une pointe de nervosité à l'idée de ce qu'ils s'apprêtaient à faire.

— À quoi tu penses ? lui demanda Tristaan en relevant la tête de sa besogne.

Elle soupira.

— À tout ça, tout le chemin parcouru et tout ce qu'il nous reste à faire. Et à la menace qui nous pèse dessus, ajouta-t-elle en désignant les îles flottantes du menton. Elle est présente depuis bien trop longtemps.

— Oui, et nous nous apprêtons à la faire disparaître pour de bon ! intervint Lïam.

« Pour de bon. » Ces trois mots résonnèrent dans la tête de la jeune fille comme une promesse. Il restait à savoir s'ils parviendraient à lui faire honneur.

○ ○ ○ ○

Ils se trouvaient au pied de la muraille qui protégeait les Scorpions du clan le plus hostile de la Pénombre. Celui-ci semblait dangereusement fissuré en plusieurs endroits mais Érïn tenta de rester dans un état d'esprit qui ne laissait pas place à l'angoisse ou aux trop longues réflexions. Chaque fois qu'elle avait à se battre, à voler pour survivre ou à s'infiltrer chez des ennemis, elle se trouvait prise dans une sorte de transe qui ne laissait place qu'à la lucidité. Son regard semblait accru, aussi perçant qu'un aigle et elle pouvait alors analyser chaque infime mouvement dans son champ de vision. Son toucher devenait arme, ne faisant qu'un avec son pistolet sans qu'une seule goutte de sueur ne vienne perturber l'équilibre de leur fusion. Son odorat et son ouïe paraissait alors surdéveloppés. C'était ce qu'elle appelait son « mode chasse ». Son cœur battait à peine, il ne devait pas déconcentrer sa propriétaire.

Elle respira un moment, les yeux fermés, et posa une main protectrice sur l'épaule de Tristaan afin de lui transmettre un peu de son énergie et de son calme. Une seule erreur et c'était terminé pour eux. Il se tourna vers elle et un léger sourire se dessina sur son visage plongé dans le noir. Il installa deux barres de chaque côté de leur barque de métal. Tristaan lui avait expliqué que l'image projetée par celles-ci servirait de miroir afin de créer l'illusion d'optique de leur invisibilité. Érïn avait du mal à faire confiance aux machines même si elles étaient inventées par son compagnon, alors elle se fit violence pour ne pas montrer son trouble.

— Tout le monde est prêt ? chuchota Lïam.

Les quatre autres hochèrent la tête. Il fit l'inventaire une dernière fois avant d'embarquer.

— Ration ?

— Check !

— Gourdes ?

— Check !

— Couvertures ?

— Check !

— Armes ?

— Check !

— Lampes torches ?

— Check ! Mais c'est qu'en cas d'urgence !

— Je sais, on n'est pas des débutants. L'holo-enregistrement ?

— Check ! On a tout Lïam.

— Parfait alors restez prudents et le plus silencieux possible. Félice, tu es l'éclaireur et Jow, tu t'occupes de la conduite. Je reste au milieu avec Tristaan et Érïn.

— Compris ! répondirent les deux Scorpions en chœur.

Plus une parole ne fusa de la petite troupe. Ils savaient qu'ils ne pourraient faire du bruit qu'une fois arrivés sur le territoire des Loups, et encore ! Ils mesurèrent leurs mouvements en entrant dans la barque et Jow monta en dernier en poussant délicatement l'embarcation au centre du fleuve. Aussitôt, Tristaan activa sa machine... qui ne fonctionna pas. Le cœur d'Érïn s'accéléra. Ils avaient une fenêtre de soixante secondes. Passé ce délai, ils entreraient sur le territoire du Feu. Et si son engin avait pris l'eau lorsque la barque avait légèrement tangué ? Trente secondes. Tristaan s'échinait dessus sans résultat. Quinze secondes. Lïam s'apprêtait à ordonner l'abandon de la mission. Dix secondes. Cinq secondes. Tristaan frappa un grand coup sur les barres qui s'allumèrent en grésillant. Leur enveloppe invisible s'activa alors même qu'ils passaient la grande muraille. Érïn laissa échapper un soupir.

Ils s'aplatirent dans la barque sous des couvertures de camouflage, le bruit avait sans doute alerté une Flamme qui surveillait la frontière. Ils n'en avaient ni croisées ni entendues mais tous avaient un mauvais pressentiment. Quelqu'un tapota l'épaule de la jeune fille qui fit de son mieux pour se retourner. Tristaan posa un cylindre dans sa main et lui fit signe. Il mima le silence puis une arme à feu. Un silencieux. Ce petit huppé bouclé avait fabriqué un silencieux avec trois brindilles ! Elle mit le dispositif en place et surveilla les alentours, le canon pointé vers la berge droite du fleuve, celle qui accueillait autrefois son clan. Elle couvrit sa jauge d'énergie d'un foulard pour cacher la source de lumière et attendit avec les autres dans un silence angoissant. Seul le léger clapotis de l'eau troublait le noir intense de la nuit, accompagné de quelques grillons.

Cela faisait maintenant trois heures qu'ils descendaient la rivière et, selon les souvenirs de Lïam et Érïn et les calculs de Tristaan, ils ne devraient pas tarder à croiser le lit de l'affluent mort, aussi appelé Cicatrice, qui coupait le Quartier Chaud en deux. Cela signifiait qu'ils avaient traversé la moitié du territoire mais qu'un pont, sans aucun doute gardé, approchait. Leur seule protection était le « miroir-illusion » de Tristaan et la nuit transperçante qui leur était profitable. Avec un peu de chance, les Flammes n'allumaient pas de feu pour éviter d'attirer les insectes carnivores. Elles seraient quand même sur le qui-vive, c'est pourquoi la troupe avait prévu une diversion. Au loin se dressa un camp ennemi éclairé. De longs voiles blancs faisaient office de tentes : de simples moustiquaires. L'affluent asséché était encore plus proche, ils devaient mettre en place la diversion tout de suite !

— Qu'est-ce que... commença Jow.

Tous se retournèrent pour lui intimer de se taire. Jow pointa son blaster sur le front d'une fillette. Elle se frotta les yeux en baillant.

— Qui c'est qu'a allumé la lumière ?

Les Clans de la Pénombre | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant