— Je vous demande pardon ?
Nïne n'était pas la seule à être perdue. Comment un peuple lointain pouvait-il les connaître et attendre une troupe hétéroclite de jeunes gens venus de tous les clans ?
— Cela peut vous paraître étrange en effet, mais nous savions que vous viendriez.
— Et comment ? intervint Lïam. Partagez donc votre savoir !
— Nous sommes dotés d'un voyant, il avait prédit votre venue il y a de cela des mois. Raan, répète-leur ce que tu as vu.
Un jeune homme émergea de la foule et tourna son regard sans vie vers les nouveaux venus. Ses yeux, couverts d'une membrane blanchâtre, ne voyaient plus ce qui était perceptible pour le commun des mortels, ils distinguaient bien au-delà.
Sans préambule, il annonça d'une voix solennelle :
Au crépuscule de la guerre, six voyageurs paraîtront dans le ciel de sang
Le dragon du destin bouleversera le paysage
Les jeunes guerriers vaincront
Le métal fluide est la clef
Jow éclata d'un rire nerveux. Tous se regardèrent. Érïn plaisanta :
— C'est quoi cette prophétie bon marché ?
Pour la première fois depuis qu'ils étaient arrivés, le visage d'Olga la sage se contracta et devint rouge de colère, mais pas un son ne sortit de ses lèvres cousues. Le pèlerin appuya une main calleuse sur son épaule et répondit d'un air contrarié :
— Vous êtes libres d'y croire ou non, l'important est que nous remplissions notre mission comme il se doit. Nous devons vous donner la clef de votre victoire.
Tristaan savait bien ce que pensait Érïn en cet instant précis : « C'est ça, remplissez votre mission, faîtes-nous gagner une guerre à laquelle vous n'avez jamais participé ! » mais elle réprima ses paroles.
— Demain, reprit-il, nous vous montrerons le métal fluide.
Ils passèrent la nuit autour du grand feu, accompagnés de tous les proches d'Olga. Apparemment, dormir avec les étrangers étaient aussi de coutume chez eux.
— Eh Tristaan ? chuchota une voix non loin de son oreille. Tu dors ?
— Quoi ? Qui est-ce ?
— C'est Érïn abruti !
— Ah oui là je te reconnais bien...
— T'en penses quoi ? T'y crois, toi, à leur délire ?
— C'est vrai que ça semble tiré par les cheveux, répondit le jeune homme, contemplant les étoiles, allongé sur le dos. Mais si ce « métal fluide » nous permet de gagner la partie ou tout du moins de mettre plus de chances de notre côté, pourquoi s'en priver ?
— T'as pas tort... J'espère juste que ça en vaut le coup. On ne va pas faire changer d'avis ces bergers pacifistes, alors j'espère qu'on n'aura pas perdu notre temps.
— Un temps précieux qui permet à Andréus de faire tout ce qu'il veut dans ma ville adorée...
— Quoi, me dit pas que t'as le mal du pays ?
— Honnêtement ? fit-il en tournant la tête vers son amie. Goldhaven me manque. Mes amis, ma famille, la sécurité. Tout ça me manque.
— Je comprends, mais c'est pour les protéger que nous sommes ici.
— Je sais Érïn, je sais.
○ ○ ○ ○
Le lendemain, à l'aube, tous se réveillèrent de concert. Seul Loon s'était réellement reposée, les autres subissaient les dégâts d'une autre nuit blanche. Le pèlerin, dont ils ignoraient toujours le nom, parut avec des bols remplis de nourriture. Des céréales, des fruits, des légumes et même quelques morceaux de viande séchée. Tout cela dans une quantité assez grande pour nourrir tout un régiment. La troupe dévora son repas, but de l'eau fraiche venue de la rivière et s'étira de contentement. Le devin vint les voir en fin de mâtinée avec un coffre sous le bras. Il s'assit de l'autre côté du monticule de cendres, dernières traces du grand feu de la veille et posa la boîte sur ses genoux. Autour d'eux, les plus curieux se massèrent pour voir l'événement. Raan ouvrit le coffre d'un geste théâtral, tout le monde retint son souffle. Ils posèrent les yeux sur une masse grise informe qui reflétait la lumière du soleil.
— C'est ça, la clef de notre victoire ?
— Prenez-le dans vos mains, ordonna Raan.
Tristaan s'avança et, après une brève hésitation, plongea les deux mains dans la boîte. Il en ressortit le métal visqueux qui glissait entre ses doigts et tremblait comme de la gelée. Loon poussa une exclamation de dégoût.
— Allez-y voyageur, modelez quelque chose. Servez-vous de vos mains et de votre esprit, le métal fera le reste.
Il prit une inspiration et réfléchit. Que pourrait-il faire ? Il jeta un œil à Érïn qui ne cessait de le fixer, descendit le long de ses mèches blondes qui avait repoussées, glissa sur la capuche de son sweat trop large. Tandis que ses yeux parcouraient le visage de son amie, ses mains s'activaient sans qu'il n'en ait conscience. Quand il tourna de nouveau la tête, le portait d'Érïn reposait entre ses mains et lui ressemblait traits pour traits.
— C'est toi qui as fait ça ? admira Nïne.
— Je... Je crois oui.
— Le métal fluide suit le mouvement des mains et la pensée du modeleur. Allez-y, cognez votre œuvre contre terre, vous verrez que rien ne peut lui arriver. Une fois modelé, le métal fluide est incassable, ignifugé, imperméable, et ré-malléable à volonté si l'envie vous en prend.
Le visage d'Érïn passa de main en main. Loon l'effleura du bout des doigts, émerveillée. Arrivé à Lïam, celui-ci connecta ses pensées au métal et lui donna en quelques secondes la forme souhaitée : un redoutable scorpion.
— Ça au moins, ce n'est pas de la magie bon marché ! s'exclama-t-il.
— Ce morceau s'étale à l'infini. Si vous voulez le multiplier, coupez-le en deux lorsqu'il est mou et ainsi de suite. Un seul morceau vous suffira.
À peine le devin eut-il finit sa phrase sous les regards émerveillés de la troupe, qu'un bruit de moteur surgit des arbres en contrebas. Une camionnette volante, suivie d'une demi-douzaine de motos foncèrent droit sur le village des montagnes. La panique gagna les habitants qui s'enfuirent dans leurs maisons troglodytes. Raan enferma le métal dans le coffre. Olga apparut à ce moment là, le regard vide.
— Où étais-tu passé ? hurla le pèlerin pour couvrir le vacarme. Olga, qu'est-ce que tu as fait ?
— Le logo du Clan du Feu ! cria Érïn, montrant les dessins de flammes sur les véhicules.
— Je les ai appelés, les étrangers ne méritent pas ce privilège ! Ils sont là pour eux ! répondit la chef en pointant un doigt accusateur sur la troupe. Ses yeux de démente brûlaient de haine.
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Les Clans de la Pénombre | T1
Science FictionPhœvos, planète détruite par une énorme explosion nucléaire il y a cinq siècles, n'est plus habitable. Les humains se sont réfugiés sur des îles artificielles flottant au-dessus du sol. Tristaan est un lycéen curieux qui vient de débarquer à Goldhav...