Un cri unique, rauque et puissant se répercuta sur les parois de la falaise. Un cri de rage, de douleur, de désespoir, de « je n'arrive pas à tourner la page », de « je ne sais plus pourquoi je vis ». Un cri et des larmes, trop pour une personne qui s'était jurée de ne plus montrer ses faiblesses. Une explosion, une implosion, un grand éclat dans un grand fracas. Une plaie qui se rouvre, une brèche qui craquelle et dont les débris transpercent la chair d'Érïn. Des poings qui se serrent sur le rebord. Elle est à deux doigts de sauter. Elle a l'impression que plus rien ne la retient. Sur cette planète détruite, sur ce monde doré qui ne veut pas d'elle. Monde sombre et cruel, mais libre. Monde lumineux et luxueux, mais corrompu. Sa place ? Nulle part. Abandonnée dans l'un, rejetée dans l'autre puis chassée à nouveau. Huppée ? Jamais. Sauvage ? Paria. Mais qui est-elle, bordel ? Le cri se tut peu à peu dans sa gorge. Elle se sentit vidée, hors du temps, hors de son être. Les dernières larmes dévalèrent ses joues. Elle se le promit. Les dernières. Accomplir sa vengeance, puis mourir en paix. Elle tenta de se l'enfoncer dans le crâne, sans grand succès.
— Je n'ai que seize ans... murmura-t-elle pour elle-même.
— Je sais, lui répondit elle-même.
Érïn allongea son dos sur le sol, ses pieds pendaient toujours dans le vide. Elle regarda le ciel, il était bouché par les nuages que la pointe d'une île artificielle perçait brutalement.
— Je ne vois rien, reprit-elle. Et toi ?
La petite fille à côté d'elle regarda l'horizon.
— Rien non plus.
Un long soupir les unit.
— Tu sais bien que toi seule a le pouvoir de changer les choses, renchérit la petite. Moi, je suis immuable. Toi tu vis dans le présent, tu as le devoir de prendre ta vie en main.
— Je croyais que c'était déjà ce que je faisais.
— Soit un peu honnête avec toi-même, pour une fois. Tu ne vois que ton objectif, sans lendemain. Que feras-tu une fois que tu auras tué Conraad ? Tu es jeune, tu l'as dit, tu as tout ton avenir devant toi.
— Mais mon avenir est bouché ! Je n'arrête pas de te le répéter !
— Et tu sais très bien pourquoi.
La petite fille la regarda d'un air compatissant. Elle ouvrit les bras. Érïn se redressa et la détailla. Elle cherchait à gagner du temps. Mais qui peut se duper soi-même ?
Alors, en ravalant un sanglot, elle prit la fillette dans ses bras.
○ ○ ○ ○
— Bien, ça fait plaisir d'entendre cela de la part de sa propre progéniture... murmura le père de Tristaan en laissant tomber son verre.
L'objet s'écrasa sur le sol rocailleux sans un bruit, les bouts de verre se liquéfièrent.
— Tout cela... ce n'est pas réel, n'est-ce pas ? tenta Tristaan.
— C'est à toi d'en décider, fils.
Le jeune homme s'appuya contre la paroi, ses jambes ne voulaient plus le porter. Il glissa à terre et pris sa tête dans ses bras.
— Je ne suis qu'un idiot pour toi, n'est-ce pas ? chuchota-t-il.
— Tu m'as déçu un bon nombre de fois dans ma vie, c'est vrai.
Les larmes commencèrent à couler sur ses joues parsemées de tâches de rousseur. Un faible, un bon à rien, un bagarreur, voilà comment son père le voyait. Jamais un compliment, jamais il ne s'intéressait à ses projets, à ses amis ou même à sa vie ! Aucune complicité. Pourquoi ? Il se rappelait que ce n'était pas le cas dans son enfance... Pourquoi ? Pourquoi cela avait-il changé ? Qu'avait-il fait de mal, à part grandir ? Il se releva sur ses jambes, pris d'une détermination nouvelle.
— Je ne suis pas le fils que tu voulais avoir, n'est-ce pas ? Même si je marche dans tes pas, même si je fais tout ce que je peux pour te plaire, ça ne te suffit toujours pas ? Tu sais quoi Papa ? J'en ai rien à faire que tu n'approuves pas ce que je fais, rien à faire que tu ne comprennes pas. Moi je suis persuadé de faire le bon choix, je sais où je vais et pourquoi. Et peu importe ce que tu en penses ! Tu comprends ? Je suis libre de mes propres choix !
Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres de son père. Un sourire qu'il n'avait plus vu depuis bien longtemps. Tristaan avait réussi.
○ ○ ○ ○
Le brouillard mental se dissipa autour de leurs esprits. Les membres de la troupe s'éveillèrent sur la place du village des Loups. Des cabanes de bois suspendues aux arbres semblaient les observer du haut de leurs perchoirs. Érïn se releva sur son séant pour la deuxième fois. Les Loups, petits et grands, les détaillaient avec un sourire radieux sur le visage. Jow, Lïam, Félicïa et Tristaan semblaient aussi perdus et ébranlés qu'elle. Ils eurent à peine le temps de prendre une bouffée d'oxygène qu'une torpille blonde fonça dans les bras de Tristaan en hurlant des félicitations. L'image de la petite fille au bord de la falaise réapparut dans la tête d'Érïn qui ressentit un sentiment de satisfaction.
— Trissan ! Vous m'avez tous trop manqué ! hurla Loon.
— Haha ! Je vois que ta jambe est comme neuve ! rit Tristaan.
— Oui, ils sont gentils, ils m'ont tout bien réparé !
Érïn afficha un sourire sur son visage. Cette boule d'énergie rendait vraiment leur vie meilleure.
— Je dois dire que vous avez fait du bon boulot ! s'exclama le chef de meute, les mains sur les hanches. Pas facile de ressortir entier de cette forêt...
— Maudite ! Elle est maudite ! trembla Félicïa.
— Mais vous y êtes parvenus, intervint la chasseresse avec les multiples tresses. Je suis Nïne et je suis impressionnée par vos talents.
— Oui, reprit le chef, sachez que mes soldats vous surveillaient pendant toute la durée de l'épreuve.
— Attendez ! s'écria Jow. Nous n'avons pas ramené le totem, nous avons échoué !
Le chef partit dans un grand éclat de rire, ce qui fit grimacer le maître des explosifs.
— Le totem n'existe pas ! Ce n'était qu'une ruse pour que vous vous aventuriez dans la forêt aux mirages.
— Alors rien n'était réel ?
— Oui et non.
— Graant, tes réponses ne servent à rien, la taquina Nïne. Comment un blagueur pareil a pu devenir chef de meute ?
— Et comment une rabat-joie comme toi a-t-elle pu devenir Louve Alpha ? Ah oui ! C'est grâce à son petit ami !
— Son petit ami devrait se taire parce que nos invités n'ont pas à savoir notre vie privée, Graant.
— Bien madame !
— Dans la forêt aux mirages, vous avez affronté vos plus grandes peurs, vos doutes angoissants et vos questions refoulées, reprit Nïne. Vous avez affronté La Créature du supplice, autrement dit votre bête noire. Et chacun s'en est sorti triomphant. Cette épreuve révèle que l'important n'est pas la récompense, ou ce qu'il y a au bout. L'important est le chemin parcouru et les épreuves traversées.
— C'est beau ! s'exclama Loon. J'ai pas compris.
Tous rirent de bon cœur. Il y avait comme un air de soulagement et de liberté.
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Les Clans de la Pénombre | T1
Ciencia FicciónPhœvos, planète détruite par une énorme explosion nucléaire il y a cinq siècles, n'est plus habitable. Les humains se sont réfugiés sur des îles artificielles flottant au-dessus du sol. Tristaan est un lycéen curieux qui vient de débarquer à Goldhav...