Trente-troisième Chapitre - Réécrit

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Je suis dans le noir. Dans le noir le plus total, et je ne sais pas depuis combien de temps, c'est étrange. Suis-je morte ? Un néant tel ne peut être que la mort. Je ne ressens rien de spécial, je n'ai même pas l'impression d'être réellement là, c'est un peu comme un rêve, qui me semble durer depuis l'éternité. Je me rappelle de tout de ce que m'y est arrivé, mais pas de quand c'était. J'ai atteint ma majorité, mes pouvoirs ont explosé, et je me suis effondrée après de longues minutes d'agonie. Et puis plus rien. J'imagine que j'ai atterri ici après, dans cet endroit indéfini. Je ne sais même pas comment je me sens actuellement, j'ai l'impression d'être vide, avec seulement la conscience d'être là, vivante ou non. C'est donc ça la mort. La simple condamnation à rester éveillée dans le noir, sans émotions, sans sensations. C'est inattendu.

Soudain, alors que j'étais plongée dans cette réflexion futile, il me semble petit à petit recouvrer mes sensations, et je peux à présent toucher mes bras, sentir mes jambes lourdes, mes cheveux encrassés par la pluie. Je peux même sentir mes paupières, cligner enfin des yeux. Alors je les ferme, appréciant, malgré mes émotions toujours inexistantes, ces retrouvailles avec mon enveloppe charnelle. Et, en les rouvrant, je suis brutalement aveuglée par la lumière vive que je reconnais comme étant celle du soleil.

Je me relève donc d'un coup sur mes genoux, et respire bruyamment, comme si je reprenais mon souffle après être restée en apnée pendant trop longtemps. C'est alors que je peux enfin percevoir toutes les émotions, tous les sentiments, tout ce que j'avais perdu, revenir en un seul coup brutal, me forçant à poser une main sur mon cœur, tentant de calmer le rythme frénétique de ma respiration et de mon pouls. Je ressens de nouveau la peur intense qui m'animait, la panique, l'anxiété, la stupeur face à mes pouvoirs, la fascination même, et le sentiment horrible qui m'a déchiré le cœur quand je me suis rendue compte que je mourrais. Je me rappelle de tout ce que je ressens pour mes amis Zac et Joyce, Thaniel aussi, je me rappelle de ce que j'éprouve dangereusement pour Jake, et ce surplus d'émotions envahissantes m'arrache un sanglot étranglé. Je viens de me rendre compte que je suis seule au milieu du dernier endroit que j'ai vu, cette clairière maintenant détruite qui me semble bien différente des souvenirs que j'en ai, et que je suis par conséquent probablement toujours morte, condamnée à une solitude éternelle. Mon cœur se serre à un tel point que j'en ai mal, mais je ne peux cependant pas m'empêcher d'être soulagée d'être enfin redevenue moi même, entière. C'est un torrent de sentiments contradictoires et épuisants qui se déverse sur moi pendant ces quelques instants, me faisant trembler quand je me remets enfin sur mes pieds.

Je regarde alors autour de moi. Je suis à Érédia, dans la clairière, je vois la forêt, la ville, je vois même la maison de Zac. Le soleil brille d'une étrange lumière, comme si elle était artificielle. Il n'y a pas un seul bruit, pas un seul souffle de vent, pas une seule impression de chaleur. C'est comme si le temps s'était arrêté. Le front plissé, je commence alors à marcher lentement, ne comprenant pas où je me trouve. Je suis seule, dans une Érédia qui ne me semble même pas réelle, à vagabonder dans des rues désertes et aux airs glauques.

Je reste immobile au milieu de la route terreuse, face aux escaliers de la maison de Zac, fissurés par mes soins le jour de ma majorité. Je prends une profonde inspiration, et m'apprête à monter les marches, en espoir de trouver signe de vie dans cette demeure. Mais c'est alors que j'entends résonner à l'autre bout de la rue l'éclat d'une voix familière prononçant mon nom. Je plisse donc les paupières et fixe la personne qui se tient à quelques dizaines de mètres plus loin. Un tremblement de stupeur me bouscule quand je reconnais ma mère, Teresa. Mais que fait-elle là ?

Alors que je fais un pas pour la rejoindre, sa silhouette disparaît en un clin d'œil. Mais il ne m'en faut pas plus pour comprendre. Je porte une main à ma bouche, tremblotante, en osant à peine lever les yeux autour de moi. Les limbes. Je suis coincée entre la vie et la mort, perdue parmi les mondes et les dimensions, dans les limbes. Un nouveau sanglot me secoue. Personne ne sort des limbes, jamais. Mais je dois essayer, malgré tout. Je ne dois pas perdre espoir. Alors je ferme les yeux, et inspire lentement, en agrippant le pendentif toujours à mon cou, priant de toutes mes forces pour disparaître de cet endroit, essayant de concentrer chaque fraction d'énergie en cet acte. Rien ne se passe. La deuxième fois non plus. À l'échec de la cinquième tentative désespérée, je me rends à l'évidence en laissant tomber mes bras le long de mon corps. Je suis prisonnière à jamais de cet endroit. Je m'effondre à genoux et m'écorche le coude sur une marche de l'escalier, avant de plonger mon visage entre mes mains, si désemparée que les larmes ne coulent pas. C'est terminé pour moi. Tel était donc mon destin. Errer toute ma vie sur Terre en recherche de ma propre identité, avant d'errer dans les limbes juste après l'avoir enfin trouvée.

Différente - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant