Chapitre 3

3.6K 429 5
                                    

1998

- Olympe! Arrête! On rentre! Maman va être énervée!

La petite fille n'écoute rien et continue de chercher sous les feuilles mortes des cailloux gris plus brillants les uns que les autres qu'elle finira, comme sa sœur le sait très bien, par jeter tôt ou tard par la fenêtre de sa chambre ou par oublier dans une boîte quelque conque. Océa n'a jamais été comme ça. Même dans ses plus lointains souvenirs. Elle n'a jamais aimé faire des collections d'objets trouvés dans la nature au contraire de presque tous les enfants. Lorsqu'elle avait trois ans elle préférait davantage se cacher sous sa couette et parcourir des livres d'images, comme si elle savait déjà que la fiction était préférable à la réalité.

- Olympe! Si tu ne viens pas je pars sans toi!

Toujours pas de réponse de la part de la gamine qui continue de fouiller inlassablement sous le manteau orangé.

- Bon et bien comme tu voudras. Moi je pars.

Convaincue qu'elle finira par la suivre, Océa reprend le sentier qui mène jusqu'au champs du village. Il fera bientôt nuit et il est hors de question qu'elle soit encore au milieu de ses arbres terrifiants lorsqu'il fera noir. Elle marche un long moment, faisant de grandes enjambées. Arrivée enfin à l'orée de la forêt elle se retourne, s'attendant à voir sa sœur lui courir après. Mais rien. Personne. Elle ne l'a pas suivie. Les corbeaux perchés sur les arbres la regardent de leurs yeux aussi noirs que leur plumage. Des dizaines de paires de perles d'onyx qui la fixent...

Elle revient sur ses pas en trottinant, prête à la traîner de force si c'est nécessaire. Mais lorsqu'elle arrive à l'endroit de fouille de cailloux, personne. Rien. Rien du tout. C'est comme si elle s'était volatilisée.

Disparue.

Elle lève les yeux.

Les corbeaux se sont envolés.





2019

Océa n'a pas rappelé son Oncle et n'a pas non plus répondu à tous ses appels. Elle ne veut pas l'entendre de nouveau. Elle a trop peur que ce qu'elle a entendu soit un trait de son esprit et elle préfère garder l'espoir. L'espoir de revoir sa sœur après toutes ces années! S'il a dit qu'ils l'avaient retrouvée alors ils l'ont retrouvée, point final. Jamais ils ne lui auraient menti de façon si cruelle. Olympe est de retour! Elle le sait. Elle le sent.

Les urgentistes n'ont d'abord pas voulu la laisser partir mais il fallait bien avouer qu'elle paraissait aller parfaitement bien. Et finalement après trente bonnes minutes de négociations ils ont décidé de lui faire simplement les tests rudimentaires dans la camionnette du SAMU et de la laisser repartir. En revanche elle n'a pas eu le choix et a dû donner sa déposition aux policiers. Ils l'ont donc emmenée jusqu'au commissariat du 11ème arrondissement avant de la laisser s'en aller.

Elle a appelé sa meilleure amie, Tiphaine, sachant que le lundi est son jour de repos et l'a suppliée de lui prêter sa voiture. Cette dernière n'a pas posé de questions, sentant le stress et l'urgence dans sa voix et dix minutes plus tard elle était devant le commissariat, prête à lui rendre ce service.

- Tu es sure que tu ne veux pas que je t'accompagne?

- Non vraiment c'est bon. Crois-moi, tu ne veux pas connaître ma famille. Du moins ce qu'il en reste...

- Que se passe-t-il de si grave pour que tu veuilles y retourner après toutes ces années ?

Le silence qui suit informe Tiphaine qu'elle n'en saura pas plus. Elle pousse un soupire et la prend dans ses bras.

- Bon vas-y je te fais confiance. Mais évite de bousiller ma voiture comme la tienne quand même.

Elle pousse un petit rire et Océa lui sourit sincèrement.

- Merci. Vraiment. Je te tiens au courant ne t'inquiète pas.

Elle prend sa place dans la voiture, ferme la portière, attache sa ceinture, et après un dernier signe de main vers son amie, démarre. Tout le trajet, elle sert le volant si fort que ses phalanges sont blanches. Elle a des crampes dans les bras et elle ne peut s'empêcher de se mordre la lèvre inférieure jusqu'au sang. Mais la douleur ne l'atteint pas. Elle est bien trop enveloppée dans un élan d'excitation proche de la folie.

Quand elle finit enfin par arriver dans sa campagne natale il fait nuit et il s'est remis à neiger. Elle arrête la voiture sur la petite route de béton fendu par les racines à l'orée des premières maisons. Tout se sait ici, les commérages vont bon train, et si elle continuait en voiture il est certain qu'elle serait repérée et que les gens commenceraient à raconter que la fille Danewood est revenue. Cela va se savoir tôt ou tard mais dans les circonstances actuelles mieux vaut tard.

Le petit village dont elle se souvenait à l'air encore plus mort et perdu qu'avant, surtout sous ce manteau blanc de givre et de neige poudreuse. Les seules présences vivantes sont les corbeaux sur les toits des maisons qui paraissent abandonnées. Ils croassent en voyant la jeune femme approcher, comme s'ils se réjouissaient de la revoir parmi eux.

Elle continue de marcher dans la pénombre jusqu'au bout de la principale rue du village. Là où règne en maître l'immense maison familiale: le manoir des Danewood. Elle s'arrête devant le portail rouillé datant du XVIIIème siècle et retient son souffle. Elle hésite un instant, mais finit par saisir un barreau gelé dans sa main. En l'ouvrant, il émet un grincement strident digne des films d'épouvante les plus effrayants. Ces mêmes films où la jeune femme sans défense entre dans le château hanté avant de finir éventrée. En imaginant cet avenir sordide qui lui pendrait au nez si elle se trouvait dans une production Hollywoodienne, Océa ne sait pas si elle doit rire ou partir d'ici en courant. Elle finit par opter pour la première option: elle a beau avoir fui ce manoir et tout ce qui va avec toute sa vie, l'euphorie l'emporte. Elle va revoir sa sœur! La seule personne de cette famille qui était pure et qui méritait son amour. La seule personne qui n'a pas été corrompue par les mensonges, les tromperies et les secrets. Lorsqu'elle a fui ses origines, Océa espérait pouvoir échapper à ce raz-de-marée qui allait l'ensevelir tôt ou tard. Elle a changé son nom en Danever et elle est partie à Paris. Mais ce qu'elle ne savait pas encore c'est que son passé allait la rattraper peu importe ce qu'elle aurait fait pour l'en empêcher.

Parce qu'être une Danewood est une malédiction. Et les malédictions n'épargnent jamais personne...

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant