Chapitre 9

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2019

Lorsqu'Océa se réveille, la matinée est déjà largement entamée et une vive douleur cogne sa tête, qu'elle sait due à la cuite de la veille. Elle se lève et va directement dans la salle de bain contiguë à sa chambre. Elle retire ses sous-vêtements et monte dans la baignoire en cuivre datant de mathusalem. Elle fait couler l'eau gelée sur son visage et son corps. Une nuée de frisson recouvre son corps mais le froid qui la saisit a un effet immédiat sur son mal de crâne qui s'atténue largement. Lorsqu'elle a fini de se laver elle se rend compte qu'elle n'a apporté aucun vêtement. Elle s'enroule dans une serviette de bain et sur la pointe des pieds va dans le couloir, frapper à la porte de la chambre d'Anna. Comme personne ne vient ouvrir elle se décide à entrer quand même, sachant que l'adolescente ne lui en voudra pas. Elle ouvre l'armoire et cherche quelque chose qui pourrait lui aller. Elle est loin d'être aussi mince et frêle qu'Anna et fouille désespérément jusqu'à découvrir une liasse d'enveloppes jaunies et attachées ensemble avec un ruban mauve sous une pile de pulls. Elle hausse un sourcil, se demandant avec qui une adolescente aussi solitaire peut bien entretenir une relation épistolaire. Elle attrape le paquet et inspecte avec curiosité la première enveloppe de la pile. Il n'y a ni timbre ni adresse. Juste, marqué à l'encre noire d'une écriture soignée et particulièrement belle « À mon amour ». Océa veut en savoir plus mais des bruits de pas provenant du couloir l'interrompent. Elle remet précipitamment les lettres à leur place et attrape à la volée le premier pull qui lui tombe sous la main. Au même moment la porte s'ouvre. En découvrant Océa dans sa chambre Anna sursaute et lui dit, méfiante:

-          Qu'est ce que tu fais la?!

-          Oh je... je viens de me doucher et je n'ai rien à me mettre. Je me suis dit que tu pourrais me prêter quelque chose à enfiler.

L'adolescente s'approche, le nez froncé.

-          Oui... bien sûr.

Elle ouvre un tiroir et en sort une culotte grise simple à l'élastique usé et détendu qu'elle lui tend. Océa l'attrape, un sourie gêné aux lèvres, se disant en son plus fort intérieur que si elle avait un rancard ce soir le mec partirait en courant en voyant ça. Elle ne sait pas qui est le mystérieux romantique avec qui elle parle par correspondance mais de toute évidence soit il est aveugle soit il ne s'est rien passé entre eux.

Elle veut également lui donner un soutien-gorge mais Océa l'arrête dans son mouvement, voyant que jamais cette brassière effilochée ne lui ira :

-          Je vais remettre le miens c'est bon. Pareil pour mon jean. Merci pour le reste.

Elle lui fait un clin d'œil et s'apprête à sortir de la pièce lorsque la voix d'Anna la retient:

-Océa attends!

La jeune femme comprend qu'elle vient de se faire prendre et se retourne aussitôt, prête à s'excuser d'avoir fouillé dans ses affaires, que ça ne la regardait pas et qu'elle promet de garder le secret à propos du mystérieux inconnu mais elle découvre alors Anna, le bras tendu dans sa direction avec une paire de chaussettes dans la main.

-          Oh... merci.

Elle attrape les chaussettes (grises bien-sûr, comme tout le reste), la gratifie d'un regard et part en trottinant, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, comme une enfant qui aurait mangé des bonbons en cachette et échappé de peu à être pris la main dans le sac. Remerciant le ciel elle se jure intérieurement de lui payer une nouvelle garde-robe comme elle aurait aimé que cela lui arrive au même âge.

Lorsqu'elle a fini de s'habiller, elle tente de brosser sa tignasse indomptable avec le même peigne en osier qu'elle possédait étant petite, s'exaspérant de constater que décidément rien a changé ici et que les achats considérés comme non vitaux par la cheffe de famille sont toujours proscrits. Elle s'assoit sur le rebord de son lit et penche la tête en avant pour essayer de les démêler mais sans succès. Elle finit par balancer le peigne à l'autre bout de la pièce en grognant. Elle est si émotionnellement sensible depuis hier, qu'elle sent qu'elle pourrait fondre en larmes juste parce qu'elle n'arrive pas à se coiffer. Ses yeux se perdent dans la pièce, en quête de n'importe quoi qui pourrait la réconforter. Et c'est avec bonheur que son regard tombe sur la petite étagère accroché au le mur porteur, où règnent quelques livres de son enfance. Parmi eux « Le Petit Prince » que son père lui avait offert peu de temps avant qu'il ne meure de la suite d'un cancer des poumons, quelques mois avant la naissance d'Olympe, lorsqu'Océa n'avait encore que quatre ans et demi. Elle n'a aucun souvenir de la mort de son père mais parfois elle se souvient de son sourire, de la lueur dans ses yeux lorsqu'il la regardait en la prenant sur ses genoux et même de son odeur familière. Elle aimait son père, sincèrement. C'était un homme bon, elle le sait.

Elle se lève du matelas et va prendre le livre. Elle feuillette les pages et s'arrête à cette phrase qui lui a toujours énormément plu, parce qu'elle a toujours su que c'était l'entière vérité: « Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants, mais peu d'entre elles s'en souviennent ».

Un sourire apparaît légèrement au coin de ses lèvres, se demandant si sa mère eut été un enfant un jour. Elle en doute.

Elle continue de parcourir l'uvrage au hasard et s'arrête à la dédicace que son père lui avait faite, alors qu'elle ne savait même pas encore lire:

« Comme le dit si bien Saint-Exupéry: «On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux ». Alors j'espère que tu retiendras cette phrase ma chérie. Fais confiance à ton cœur et à rien d'autre, il te guidera toute ta vie. Tu as tout mon amour. ».

Cette prose sonne comme un adieu. Il savait sûrement que son cancer allait lui être fatal et il voulait lui laisser une trace de tout l'amour qu'il lui portait. Océa essuie une larme solitaire qui lui coule le long de la joue.

Mais soudain la jeune femme est prise d'un soubresaut. Ses doigts se redisent sur le petit livre. Elle n'arrive pas à y croire. Non! C'est impossible! « Tu as tout mon amour ». Seulement deux barres pour les « m » comme dans l'alphabet d'imprimerie. La façon dont la boucle des « o » s'envole. Mais surtout ce long trait stylisé achevant le « r »... C'est exactement la même écriture que...

Elle ne veut pas y croire, elle n'avait pas fait le lien tout à l'heure et pourtant maintenant elle en est sûre! Aucun doute possible: les lettres qu'elle a trouvé dans la chambre d'Anna ont été écrites par son père!

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant