Chapitre 4

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2019

Une fois passé la grille, Océa marche jusqu'au manoir. Durant ces cinquante mètres elle ralentit de plus en plus sans s'en rendre réellement compte, si bien que lorsqu'elle arrive devant le porche, autrefois majestueux et désormais en ruine, elle est déjà presque à l'arrêt. Elle retient son souffle et frappe contre la porte de bois massif. Le bruit résonne et quelques secondes plus tard elle s'ouvre. Elle découvre alors le visage livide d'une jeune fille rousse, chétive et de toute évidence apeurée. Son teint terne s'illumine quelque peu en voyant Océa.

- Anna?...

Même si la dernière fois qu'elle l'avait vue la petite n'avait que six ans elle aurait reconnu cette chevelure couleur de feu entre mille.

- Océa!

L'adolescente se jette aussitôt contre elle. Océa est presque étouffée par ses bras frêles qui l'enserrent. Elle reste froide quelques secondes mais finit par se détendre et lui rend son étreinte. Lorsqu'enfin elle la lâche, son regard s'attarde sur l'arcade sourcilière d'Océa.

- Que t'est-il arrivé?

Anna tend la main vers la blessure mais elle arrête son geste quand un voix forte provenant de l'étage retentit:

- C'est qui?!

Océa reconnaît immédiatement la voix de son oncle qu'elle a eu quelques heures plus tôt au téléphone avant d'avoir son accident.

- C'est Océa papa.

Aussitôt une traînée de pas lourds dans les escaliers se dépêche jusqu'à l'entrée. Daniel apparaît dans l'embrasure de la porte. Des cernes bleus pèsent sous ses yeux. Son crâne est plus dégarni et son ventre plus gros que la dernière fois qu'elle ne l'a vu. Il n'a que cinquante-trois ans et pourtant il paraît être un sexagénaire. Il la regarde, les yeux chargés d'émotions. Pourtant les sentiments n'ont jamais été appréciés dans cette famille. Océa en sait quelque chose.

« Montrer ses émotions c'est être faible. Ne pas s'exposer. C'est le seul moyen de protéger notre famille Océa! Tu m'entends?! Le seul moyen... » Sa mère le lui répétait assez souvent.

- Océa il faut qu...

Elle le coupe:

- Où est-elle? Je veux la voir.

Elle entre sans attendre qu'on l'y invite. Après tout ce manoir lui appartient autant qu'à eux. L'intérieur a une odeur de renfermé. Les pièces sont sombres et la seule source de lumière provient du premier étage. Sans réfléchir plus longtemps elle enjambe les marches quatre à quatre, Anna et Daniel sur ses talons.

- Attends! Océa! Arrête!

Elle n'écoute pas. Elle veut voir Olympe. Elle veut la serrer dans ses bras, lui demander pardon, lui dire qu'elle l'aime, qu'elle ne l'a jamais oubliée. Les larmes lui brulent les yeux. Elle arrive en haut dans le couloir de l'aile droite. La lumière provient de la chambre d'Olympe. Elle est là. Elle est vivante. Ce n'était pas une illusion.

- OLYMPE!

Elle hurle son prénom, la gorge serrée et les jambes tremblantes. Là, le reste de cette famille en miettes est agglutiné dans la pièce. Frédérique, sa mère et un inconnu qu'elle n'a jamais vu de sa vie. Ils se tournent tous vers Océa et la dévisagent. Ils encerclent le petit lit d'enfant où dormait Olympe. Là est allongé une jeune femme. Elle a le teint gris. Ses yeux sont fermés et légèrement enfoncés dans ses orbites. Ses lèvres sont d'un violet qui tire sur le bleu nuit. Ses cheveux sont ternes et sa peau d'une pâleur effrayante. Le côté droit de son visage est tuméfié et informe. Son nez est cassé et sa mâchoire brisée. Elle met quelques secondes à réaliser qu'une odeur écœurante se dégage de la pièce. La jeune femme est morte. Elle le sait. Elle le sent.

Soudain la main de son oncle vient se poser sur son épaule, la faisant sursauter. Il est essoufflé d'avoir couru après elle. Sans quitter des yeux le cadavre en décomposition allongé dans le lit de sa sœur elle entre ouvre les lèvres et murmure :

- Qui est-ce?

Il baisse les yeux:

- Je suis désolé Océa. Sincèrement. Je voulais te le dire au téléphone mais tu ne m'en as pas laissé le temps.

Elle ne veut pas comprendre. C'est impossible. Sa voix est presque inaudible :

- Qu'est-ce que tu veux dire?... Dis moi qui s'est...

- Je suis désolé. Mais c'est Olympe. Elle est morte Océa...

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant