Chapitre 7

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2019

Océa est assise sur une chaise de la cuisine, la tête entre ses mains et les coudes posés sur ses genoux. Ses cheveux tombent comme un rideau tout autour de son visage, lui permettant de la couper du monde ne serait-ce que quelques secondes. Une main se pose sur son épaule. Elle sursaute et se redresse.

-          Tiens. Bois ça.

La cousine de sa mère lui fait face. Elle porte un gilet marron grignoté par les mites au niveau des manches et une jupe longue violette informe qui lui tombe jusqu'aux chevilles. Sa chevelure dressée machinalement en chignon au-dessus de sa tête est devenue totalement grise. Plus une mèche de ses cheveux châtains d'autre fois. Sa tenue la rend bien plus vieille qu'elle ne l'est vraiment, à croire que c'est une manie dans cette famille de vouloir faire « vieux ».

Elle lui tend un verre large contenant jusqu'au quart un liquide ambré.

-          Qu'est-ce que c'est?

-          Un remontant.

Sans réfléchir davantage Océa le saisit et l'approche de ses narines. L'odeur lui indique instantanément que ce n'est pas du jus de pomme. Tant mieux. Elle porte le rebord à ses lèvres et boit d'une traite le contenu. Le whisky lui brûle la langue et l'œsophage. Elle tousse et se rend rapidement compte que malgré le désagrément furtif, ce remède magique lui fait plus du bien que n'importe quoi depuis qu'elle a remis les pieds dans le manoir des Danewood.

-          Un autre.

Frédérique obéit et remplit de nouveau le verre, cette fois jusqu'à mi-hauteur. Et tandis qu'Océa s'enfile ce deuxième shot, la femme attrape une chaise et s'assoit face à elle en déposant la bouteille sur la table. Aussitôt Océa la saisit et se met à boire trois gorgées directement au goulot avant s'essuyer la bouche du revers de la main. Elle garde la bouteille en main et se met à fixer Frédérique de ses yeux vitreux.

-          Pourquoi tu es ici? Assise en face de moi je veux dire.

-          Tu veux que je parte?

Sa question ne se sonne pas agressivement. C'est une vraie interrogation. Elle veut savoir si elle préfère rester seule et est de toute évidence, prête à répondre à cette attente si cela est nécessaire.

-          Je vais être honnête: je n'en n'ai vraiment rien à foutre qu'il y ait ta présence ou pas à deux centimètres de moi tati.

Frédérique ne relève pas sa pique et se contente de rester assise, le regard empli de pitié.

-          Toi aussi tu penses la même chose que ma mère? Que c'est mieux de garder le secret...

Elle hausse les épaules.

-          Ça fait longtemps que j'ai arrêté de penser Océa. Lucile a toujours été...

Elle marque une pause, cherchant ses mots avant de reprendre:

-          ...Tu la connais.

Océa ne peut s'empêcher de pousser un rire ironique.

-          Je crois que personne ne la connaît. Tu t'attendais à ce qu'elle me gifle toi?

-          J'ai sursauté lorsque sa main a claqué contre ta joue. Mais je ne peux pas dire que je ne m'y attendais pas... Pendant que tu dormais après avoir perdu connaissance, que Noé veillait sur toi et qu'Anna était couchée dans sa chambre nous avons beaucoup discutés. Ta mère, Daniel, et moi...

-          La belle brochette de cette famille...

-          ...Elle était en colère. En colère que tu te permettes de revenir après toutes ces années. Tu n'étais pas là lorsque Pauline a succombé suite à son cancer du sein. Daniel a eu beaucoup de mal à s'en remettre tu sais, il l'aimait vraiment, mais le pire c'est Anna. Elle n'a plus jamais été la même après la mort de sa mère. Tu n'étais pas non plus là en 2017 lorsque Roger est mort de vieillesse. Je sais que tu n'as jamais été particulièrement proche de lui mais c'était quand même l'oncle de Daniel et de Lucile... Mais ce qui nous a tous énormément bouleversé c'est lorsque tu n'as même pas eu la décence de venir à l'enterrement d'Armand, Jeanne et Rose après leur accident de voiture. Que tu ne sois pas venu au mariage de Rose et Noé à la rigueur je peux comprendre mais... leur enterrement Océa! Enfin je veux dire... tu étais si proche de Rose avant que tu ne partes. Elle n'avait qu'un an de plus que toi et vous étiez inséparable. C'est comme si...

La fin de sa phrase se bloque dans sa gorge alors Océa termine à sa place:

-          ...comme si elle avait remplacé la sœur qui m'avait été enlevée? C'est ça que tu voulais dire n'est-ce pas?... Rose n'a jamais remplacé Olympe! Jamais!

Elle se racle la gorge et se met à fixer le contenu ambre de la bouteille qui a nettement diminué.

-          ...Mais c'est vrai qu'elle a sans doute été la personne avec qui j'ai été la plus proche. Sans doute parce qu'elle avait plus pris du côté de sa mère que de notre famille.

-          Alors pourquoi n'étais tu pas là?

-          Elle était morte. Si j'avais été là ça n'aurait strictement rien changé. Elle aurait quand même été enterrée six pieds sous terre avec ses parents.

Érica soupire:

-          Océa... pourquoi détestes-tu tant ta famille?

-          Je la déteste parce que cette famille n'est capable que de s'auto-détruire. Rien d'autre. Des mensonges, des secrets, des fourberies... Il n'y a rien de vrai ni de pur chez nous. Nous sommes mauvais. C'est dans nos gènes, encré dans notre ADN: le mal.

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant