Chapitre 8

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2019

- Allez-vous coucher. Je m'occupe d'elle.

- Tu es sûr?

- Oui c'est bon. Ne vous inquiétez pas.

Frédérique le gratifie d'un hochement de tête, tourne les talons pour monter à l'étage et aller dormir après cette journée plus qu'éreintante. Noé avance dans la cuisine et s'approche de la chaise ou Océa est toujours assise. Elle a le regard perdu dans le vide et les yeux humides. Sans doute de larmes. Il remarque la bouteille de whisky à moitié vidée sur la table. Finalement si ses yeux luisent c'est sans doute plutôt à cause de l'alcool qu'elle a ingéré. Il se dit que c'est étrange pour un aussi petit gabarit qu'elle ne soit pas encore tombée dans un coma éthylique.

- Je pense qu'il est temps pour toi d'aller dormir...

Elle relève enfin les yeux vers lui et lui répond d'une voix pâteuse:

- Tu m'excuseras le veuf mais je pense que j'ai passé l'âge qu'on me dise ce que je dois faire.

- Oh pardon c'est une méprise. Il faut dire que tu as encore l'âge de recevoir une gifle de ta maman alors je me disais...

Le petit sourire qu'il arbore au coin de ses lèvres fait aussitôt comprendre à Océa que cette provocation était clairement une réponse à ce « veuf » qu'elle lui a balancé en plein visage comme si c'était une insulte. Elle se retient de ne pas lui sauter dessus pour l'étriper. De toute façon si elle essayait elle sait très bien qu'elle s'effondrerait sans doute avant, ses jambes ne répondant plus aux demandes de son cerveau à cause de l'alcool.

- Laisse-moi. Je ne t'ai rien demandé.

- Non mais Frédérique oui. Elle m'a dit que tu avais beaucoup bu et j'ai l'impression qu'elle a même minimisé les choses.

Océa ricane :

- C'est elle qui m'a foutu la bouteille dans la main je te signale. Et maintenant elle s'inquiète ? Putain mais depuis quand quelqu'un se soucie de moi dans cette famille?! Une belle bande d'hypocrites!

L'homme s'approche un peu plus et lui tend une main:

- Allez viens. Tu seras mieux dans ton lit que sur cette chaise de toute façon.

Elle lève les yeux aux ciels.

- Je t'ai dit de te cass...

Elle ne finit pas sa phrase et avant qu'elle ne puisse réagir elle se met à vomir sur le sol d'un jet violent, brusque et incontrolable.

- Bordel!

Noé attrape les cheveux de la jeune femme pour les tenir au-dessus de sa tête en queue de cheval le temps qu'elle finisse de vider le contenu liquide et âcre de son estomac sur le carrelage puis il lui apporte un verre d'eau et une serviette.

- Ça va?

Elle hoche fébrilement la tête. Il attrape trois torchons et les étales sur le sol.

- Je t'emmène te coucher. Je nettoierai après.

Sans lui laisser le temps de protester il la soulève sans peine de la chaise. Etrangement ce contact la réconforte quelque peu. Elle pose sa tête sur son épaule, ferme les yeux et se laisse porter jusqu'à l'étage. Sans bruit pour ne pas réveiller tout le monde il l'assoit sur son lit et l'aide à retirer son jean et son chemisier avec respect. Elle se couche en sous-vêtements et il la recouvre de la couette. Au moment où il s'apprête à quitter la pièce elle le retient de sa voix trembl otante:

- Ça faisait des années que je n'avais pas bu comme ça tu sais...

Malgré l'obscurité qui absorbe la pièce Océa sait qu'il la fixe et elle ne réussit pas à soutenir son regard.

- La dernière fois que je me suis pris une cuite c'était il y a trois ans. En sortant du boulot je suis allé acheter une bouteille de vodka et j'ai bu chez moi, seule, jusqu'à en être malade. Je ne me souviens pas comment ça s'est terminé. Le black-out total à cause de l'alcool. Mais quand je me suis réveillée j'étais allongée sur le sol de mon salon, à moitié en train de baigner dans mon propre vomi. Je n'ai jamais eu aussi honte de toute ma vie, même si personne ne pouvait me voir. Quand je me suis bourrée la gueule cette nuit-là, je venais juste d'apprendre...

Noé l'écoute attentivement. Océa réprime un sanglot.

- Je venais juste d'apprendre la mort de Rose et de ses parents...

Elle le sent se figer. Sa respiration devient comme haletante. Elle continue, ne pouvant plus retenir ses larmes:

- Je... je suis tellement désolée de ne pas être venu à l'enterrement! Je... je n'en avais pas la force. J'avais perdu ma sœur, je ne voulais pas la perdre elle aussi. Je ne lui avais pas parlé depuis des années mais elle comptait tellement pour moi. C'était au-delà de mes forces. Je ne voulais pas la voir, allongée dans ce cercueil, prête à ne plus jamais sentir la lumière du jour. Je te demande pardon. Vraiment...

Noé s'assoit sur le rebord du lit et prend la main d'Océa dans le creux de la sienne. Il la sert légèrement entre ses doigts comme pour la rassurer.

- Je ne t'en veux pas. Et elle non plus. Rose m'a souvent parlé de toi tu sais. Elle me racontait lorsque vous étiez petite et que vous jouiez ensemble. Tu sais... elle t'en a voulu je crois bien lorsque tu es partie et que tu l'as laissée. Mais elle t'avait pardonnée depuis longtemps lorsque nous nous sommes mariés. Elle t'aimait aussi Océa. Crois-moi. Et elle te le dirait aujourd'hui s'il n'y avait pas eu... l'accident. Ce putain d'accident!




2016

- Papa! Dépêchez-toi! Ou nous n'arriverons jamais à l'heure à la gare.

Jeanne lève les yeux au ciel et se tourne vers sa fille:

- Il peut bien attendre deux minutes non?

- Non!

- Tu ne l'as pas vu pendant trois semaines... pas dix ans.

- C'est la même chose. Passer une seule minute sans lui dans cette famille ça parait une éternité.

Armand jette un regard glacial à sa fille par l'intermédiaire du rétroviseur.

- On se passera de tes commentaires Rose.

Il accède à l'autoroute et accélère sans ménagement. Il ne veut pas se l'avouer mais après tout lui aussi est pressé de revoir son gendre, sans doute parce que cet homme est un rayon de soleil dans la vie de sa fille et dans cette famille. Et soudain, sans crier gare un camion braque soudainement sur leur voie.

- Bordel de Dieu!

Il enfonce son pied sur le frein mais cela n'a aucun impact. Il ne comprend pas pourquoi la voiture ne ralentit pas. Il recommence, mais aucun résultat.

- ARMAND! RALENTIS!

Mais il est déjà trop tard. La voiture s'encastre dans le camion, le pare-brise explose en mille morceaux, et toute l'aile droite de la voiture se retrouve complètement broyée. Jeanne et Rose meurent sur le coup.

Armand est encore vivant, mais il sait qu'il ne lui reste que quelques secondes. Et malgré la douleur atroce qui ensevelit son corps, il réussit à entre-ouvrir les lèvres et articule dans un soupire, espérant que n'importe qui l'entende:

-Ce n'était pas... un accident... ce n'était pas... un... acci... dent... ce n'était... pas...

Son dernier souffle de vie s'échappe

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant