Chapitre 5

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1998

- Il nous faudrait une description précise de votre fille. Et également une photo récente que l'on pourra publier dans les journaux et à la télévision.

Lucile est assise sur l'un des canapés en satin du salon. N'importe quelle mère aurait été bouffée par la culpabilité d'avoir laissé sa fille seule dans la forêt avec pour seule surveillance sa sœur à peine plus grande, mais pas Lucile Danewood. Elle ne se sent en aucun cas responsable de la disparition de sa cadette et l'idée même de montrer sa douleur à des inconnus ou même à sa famille ne lui traverse pas l'esprit. Son calme et son insensibilité quelques soient les circonstances a toujours été sa marque de fabrique. Les deux policiers chargés de l'enquête de la disparition d'Olympe sont face à elle, debout, un carnet dans la main. La petite Océa est cachée derrière la porte, à écouter attentivement la conversation. Lucile, se racle la gorge et dit d'une voix ferme:

- Trois ans, chevelure dorée et ondulée, yeux d'un bleu turquoise, la peau blanche bien-sûr, le teint rosé... Je ne vois pas ce que je peux vous dire de plus.

- D'accord. Et la photo?

Lucile baisse furtivement les yeux, en triturant son index. Elle se racle la gorge:

- Je n'ai pas... de photo d'elle.

- Pardon?

- Nous n'en avons pas prise. C'est tout. C'est un crime?

Ses yeux noirs glacent ceux du policier qui se contente alors de détourner le regard.

- Maintenant j'aimerais que vous partiez d'ici. Vos interrogatoires me donnent le tournis. J'ai besoin de dormir.

- Oui... on va vous laisser. Nous vous rappellerons dès que nous aurons du nouveau.

Ils saluent Lucile d'un signe de tête poli et sortent du salon. En ouvrant la porte le premier homme rentre violemment dans Océa qui se retrouve projetée en arrière. Il l'aide à se relever:

- Pardon petite. Je ne t'avais pas vue.

- Océa! Encore en train d'écouter derrière les portes! Nous réglerons ça plus tard...

Le ton qu'emploie alors sa mère est toujours gage d'une punition vigoureuse. Elle ferait bien de déguerpir au plus vite dans sa chambre. Mais elle se contente de regarder le policier et de dire de sa voix d'enfant:

-Maman a oublié de vous dire...

Elle pointe du doigt son poignet gauche.

-Olympe a une tâche de naissance juste ici. En forme de feuille.





2019

L'horreur qui envahit à cet instant le cœur d'Océa est indescriptible. Elle perd son équilibre et son oncle la rattrape. Malgré son embonpoint il n'a de toute évidence pas perdu tous ses réflexes. Elle doit s'appuyer contre le mur pour ne pas risquer de tomber de nouveau. Elle avance d'un pas lent vers le petit lit. Les membres de sa famille s'écartent pour la laisser passer comme si c'était une pestiférée. Ils la toisent de bas en haut, à croire qu'ils ne s'attendaient pas à la revoir, elle, la fille indigne qui a fui sa propre famille. Elle sent une main venir serrer la sienne. C'est celle d'Anna. Elle ne la retire pas. Elle n'en a pas ni le courage ni la volonté et de toute évidence l'adolescente a plus besoin d'affection que n'importe qui ici. Elle s'arrête et se penche sur la jeune femme. Elle doit avoir environ vingt-cinq ans, ce qui correspond avec l'âge qu'aurait Olympe aujourd'hui, mais il ne s'agit pas de sa sœur. Non. Si c'était elle, elle le ressentirait au plus profond de son âme. Elle ne lui ressemble pas. Olympe avait le teint rosé, les cheveux d'un blond doré et non pas cendré et tout son être respirait la joie de vivre. Elle se redresse brusquement.

- Ce n'est pas Olympe.

- Qu...quoi?! Mais si enfin c'est...

Elle coupe de nouveau Daniel en hurlant, les yeux rougis par les larmes:

- CE N'EST PAS ELLE! JE LE SAIS!

Lucile s'approche d'elle et siffle entre ses dents, les yeux plissés:

- Calme toi Océa. Ce n'est ni l'endroit ni le moment de faire une scène.

Elle se tourne vers sa génitrice et pour la première fois depuis si longtemps elle ose mettre en doute son autorité:

- Alors voilà les seules paroles de ma propre mère, après onze années. Je vous ai donc tant manquée maman?

La femme reste figée quelques secondes mais se reprend presque aussitôt et s'approche du corps. Elle attrape le poignet de la jeune femme et relève la manche de la chemise de nuit blanche qui lui sert de vêtement avant de le diriger en direction des yeux de la seule fille qui lui reste.

Lorsqu'Océa voit la tâche de naissance en forme de feuille qui décore le poignet fin du cadavre, son cœur s'arrête dans sa poitrine, ses jambes se dérobent sous son poids et elle s'effondre lourdement sur le vieux parquet, évanouie.

Olympe et l'attente des corbeaux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant