L'invitation au Voyage

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15 août 1977.

Gabin fumait sa clope en observant les enfants se disputer pour donner des miettes de pain sec aux canards. Alexander se battait contre la radio pour tenter de mettre de la musique. Marcus envoyait des cailloux aux canards pour les faire fuir et moi, j'essayais d'achever le dernier tome du chef-d'œuvre de JRR Tolkien, mais en vain : je n'arrivais pas à me concentrer. Il ne nous restait plus que deux jours de stages et lundi nous repartions chez nous, loin et divisés. Aucun de nous ne voulait partir. Durant les quelques semaines que nous avions passées ensemble, nous nous étions liés d'une amitié profonde et nous étions inséparables. Nous savions que nous ne devions pas être tristes, après tout nous avions vécu un mois plein d'aventures que nous garderions dans notre mémoire aussi précieusement qu'une reine garde ses bijoux. Mon seul regret fut de n'avoir rencontré Gabin seulement deux semaines avant la fin, le terminus. Mais ces deux semaines furent merveilleuses.

Après l'épisode de la cigarette au bord de la fenêtre, Alexander et moi-même avions commencé à fréquenter plus souvent Marcus et Gabin. Nous ne faisions pas partie de la même classe de danse car les danseurs de la division étaient divisés en trois catégories : les Prodiges, les Talents et les Expérimentés.

J'étais chez les Expérimentés, tout comme Alexander. Eux étaient chez les Prodiges. Et nos deux groupes n'avaient cruellement rien à voir : là-haut, dans le paradis de Gabin, les danseurs et les danseuses avaient déjà leurs places réservées dans la compagnie, ils dansaient depuis le jour où leurs parents leur avaient donné vie. Ils étaient surdoués. Mais au-dessus des surdoués et des prodiges, il y avait Gabin qui, lorsque je l'observais à travers la grande vitre de la salle de classe, réalisait avec passion des duos romantiques avec la belle et craquante Adèle.

Alexander m'expliqua qu'entre Gabin et Adèle, c'était du sérieux. Bien qu'ils ne fussent ensemble seulement depuis le début de l'été, ils se tournaient déjà autour il y a bien deux ans de ça. Tout le monde avait déjà vu en eux le couple qu'ils n'arrivaient pas à former. J'avais trouvé que cette histoire d'amour était magnifique et que j'en aurais bien écrit un roman si j'avais décidé de devenir écrivain et non danseur. Mais le sort avait fait de moi un danseur, encore novice dans cette farandole d'ambitieux en tout genre.

Être dans des classes différentes ne fut qu'un détail qui ne nous empêcha pas de nous voir en dehors des leçons. Je me rappelle encore d'un mercredi après-midi où nous eûmes décidé de laisser un rat mort dans les douches communes féminines.

19 Juillet 1977.

Nous avions marché tous les quatre en riant des blagues que nous laissions échapper dans les rues de la ville. Nous avions pris l'habitude de ne pas emprunter celles qui étaient trop noires de monde car la chaleur s'y faisait rude et les odeurs de tabac et de friture nous donnaient la nausée. Nous avions fini par nous arrêter dans une ruelle écartée et dont je me souviens n'avoir croisé aucun chat. Nous nous étions assis sur les marches d'un perron abandonné et Gabin avait sorti ses clopes pendant qu'Alexander avait dilué son alcool. Et c'était ainsi que nous nous étions lancés dans un jeu alcoolisé et aventureux. C'était la première fois que je bus autant, le jeu en question était des plus stupides : nous devions raconter trois faits sur nous -histoire qu'on apprenne à se connaître- mais parmi ces trois il devait y en avoir un de faux. Si nos camarades trouvaient lequel était faux alors il fallait boire, et s'ils ne trouvaient pas s'était à eux de s'alcooliser.

- J'ai déjà nagé nu dans la Grande Rivière, avait continué un Alexander au regard limpide. J'ai déjà embrassé les seins de Julie. J'ai déjà donné à mon petit frère de la vodka pure.

- La deuxième ! s'était exclamé Marcus. Personne n'a jamais embrassé les beaux seins de Julie.

- Et tu n'as jamais embrassé Julie tout court ! s'était exclamé à son tour Gabin.