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Il n'était que six heures du matin et j'étais assis sur les marches enneigées devant la maison. J'aimais me lever avant que l'aube ne se réveille, attendant patiemment que les premiers rayons du soleil percent les montagnes et éclairent la vallée. Réchauffant au passage mon visage que le froid congelait malgré l'épaisse écharpe que je portais. C'était agréable d'entendre encore les animaux nocturnes s'agiter dans la forêt, le chant d'un hibou au loin, le hurlement d'une bête sauvage. Jamais dans la grande ville nous n'avions droit à un tel spectacle.

Lorsque le froid devenait insoutenable ou que les rayons du soleil étaient enfin apparus, je remontais dans le chalet pour me réchauffer sous une douche fumante.

Mais ce jour là, alors que je me dirigeais vers la salle d'eau, j'entrevis à travers une porte à moitié fermée Gabin dans l'une des chambres désertée depuis que nous dormions tous ensemble. Après avoir enlevé mon blouson trempé et mes chaussures, j'ouvris délicatement la petite porte. Gabin était assis à la fenêtre ouverte et fumait une cigarette.

- Salut, Gus, me dit-il sans détourner la tête du paysage matinal.

- Salut, Gab', répondis-je.

Je m'avançai doucement puis me hissai sur la bordure de la fenêtre, à côté de lui.

- Pourquoi tu ne dors pas ? lui demandai-je.

Habituellement nous ne nous réveillions tous pas avant neuf heures du matin.

- Je te retourne la question, me sourit-il avant de souffler une bouffée de fumée.

Je le recopiai en soufflant à mon tour. La vapeur que le froid de la montagne créait déguisa parfaitement ma parodie.

- J'aime bien observer le monde se réveiller, dis-je en haussant les épaules.

- Tu n'as pas peur des loups ?

- Non. Je ne fais rien de mal, pourquoi m'attaqueraient-ils ?

- Peut-être parce qu'ils ont faim.

- Ils seraient bien déçus, avec ma peau sur les os.

Gabin me lança un regard amusé, puis tira une nouvelle fois sur sa cigarette. J'aimais la manière qu'il avait de faire ce geste et cela le représentait bien. Avec assurance. Avec indifférence. Il remontait légèrement son menton et ses yeux se plissaient. Là il redescendit sa tête et me fixa un instant. Avec douceur. Avec gentillesse.

- Gus.

Il hésita.

- Tu peux poser ta tête sur mon épaule ?

Je tombai des nues.

- Comme lors de notre voyage.

Et j'en frissonnai presque. Il dégagea son cou et se tourna de profil, m'affichant parfaitement son épaule fine et musclée. Je m'avançai doucement sans faire de mouvements brusques. Comme si d'un seul geste tout ce moment pouvait voler en éclats. Puis arrivé à son côté, je posai ma tête là où il le souhaitait. Et je pus ressentir à nouveau les sensations uniques de sa respiration élevant et rabaissant ma tête à rythme régulier. Puis de son souffle sur mes cheveux lorsqu'il posa sa tête au-dessus de la mienne. Je fermai les yeux. Et je sentis sa main glisser entre mes doigts.

Le monde se réveillait autour de nous. Le froid glaçait l'ensemble de la pièce. Les rayons du soleil encore nouveaux-nés arpentaient nos visages apaisés. Je me rappelle encore des pulsions qui se dégageaient de mon corps en ce moment magique. Je luttai tellement fort pour me pas me jeter dans les bras de Gabin. Puis le serrer si fort qu'il en perdrait le souffle. Avalant son odeur au plus profond de moi. Le couvrant de baisers comme dans mes rêves passionnés. Je ne le voulais que pour moi. Rien qu'à moi. Le partager était comme diviser mon cœur en mille lambeaux de chair.

Pourtant je restai sagement contre lui, étouffant mes pulsions, ma main contre la sienne.

- Gabin, je crois que je suis amoureux, soufflai-je.

- Je sais, murmura-t-il.

Puis il déposa un de ces doux baisers sur le haut de ma tête et nous dûmes bouger avant que le reste de la maison ne nous retrouve aussi vulnérables.

      Le lendemain, nous dûmes faire nos bagages pour le grand départ et notre retour à la grande ville. Nous étions tous très peinés car nous aurions aimé que ce voyage ne s'arrête jamais. Nous avions passé des journées merveilleuses malgré les quelques disputent qui avaient eu lieu occasionnellement. Mais rien de grave, rassurez-vous. Seulement les chamailleries d'Alexander et Julie et les hurlements de Laurelyne lorsque la maison devenait trop en bazar. Je m'étais bien évidemment fait porter pale lorsque Alexander supplia quelqu'un pour aller éteindre le générateur au fond du cagibi tranchant. J'avais déjà assez souffert.

Dans le bus, Adèle attrapa Gabin en otage à mon plus grand désarroi mais je passai tout de même le trajet à rire avec mon ami Alexander. De loin, je pouvais les observer. Adèle posant sa tête là où ma tête aurait dû être posée, glissant sa main là où ma main aurait dû être glissée.

Personne ne nous parla de la fameuse soirée de l'incident avec Laurelyne, mais je pense que tout le monde s'était douté qu'il s'était passé quelque chose entre nous. Elle m'avait juré de garder mon secret et je lui faisais bien évidemment confiance. Par bonheur notre amitié n'en fut pas trop touchée, nous continuions de nous parler, de prendre soin l'un de l'autre. Lorsque nous dansions en duo au retour à nos cours de danse, nous nous amusions parfois à échanger les rôles. Quand le professeur regardait ailleurs, elle me prenait par la taille et me faisait tourner comme si j'étais la danseuse, et elle mon partenaire.

Adorable Laurelyne, si tu savais à quel point tu me rendais heureux. Il n'y avait aucun jugement dans ton regard, juste un amour profond et véritable.

7 Mars 1978.

- Mr Gusman ! Mlle Holmes !  À quoi jouez-vous donc ? hurla un jour le professeur alors que je tournais dans les bras de Laurelyne.

Nous nous écartâmes tout à coup, rouges de honte. Il s'approcha de son pas clopinant qui nous effrayait tous. Puis il attrapa à chacun une oreille.

- Alors, l'un d'entre vous pourrez m'expliquer ce que vous faisiez si bien ?

Laurelyne me lança un regard apeuré.

- Nous dansions, monsieur, répondis-je d'une petite voix.

- Pourtant ça ne ressemblait pas à l'exercice que je vous avais donné. Peut-être nous feriez-vous l'honneur de nous montrer votre nouveau style de pas de deux ?

Il lâcha nos oreilles et nous fixa de haut.

- J'attends, Gusman.

Laurelyne attrapa ma main et me souffla en souriant avant de prendre place au milieu de la salle :

- Ne t'en fais pas, joue juste le jeu.

Puis la musique se lança et nous dûmes improviser une danse en duo complètement exclusive. Les mains autour de ma taille mon amie me faisait tourner avant que je l'entraîne dans un pas classique de petits sauts romantiques. Nous baffions toutes les règles de ballet. Et dans notre danse il n'y avait plus d'opposition de sexe, chacun pouvait jouer le rôle qui lui plairait. Lorsque la musique s'arrêta enfin, Laurelyne s'avança devant le professeur avant d'exécuter une ravissante révérence.

- Le nouveau style à la mode, monsieur, se moqua-t-elle.

Et tous les élèves présents nous applaudirent en riant. Nous leur avions offert une parfaite distraction.

C'est ainsi que la vie reprit son cours. Nous nous remîmes petit à petit de nos vacances et traînâmes les pieds le matin dans les couloirs pour nous rendre à l'étude, puis à nos cours de danse l'après midi.

Le calme habita mes jours jusqu'à ce qu'une nuit du mois de mars, je reçus une visite qui embrocha mon cœur d'une flèche.
Cupidon ou Gabin était de nouveau venu à moi.

L'invitation au VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant