L'invitation au Voyage

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Ce qui est sympa avec moi et qu'on ne trouve que rarement chez les autres, c'est qu'on peut me surnommer familièrement et civiquement d'une seule et même façon. Je m'appelle Augustin Gusman. Alors on m'appelle Gus' pour mon prénom et Gus' pour mon nom. Et ça nous donne Gus' au carré. Boum. Comme des mathématiques.
Je ne sais pas si vous avez déjà vu la courbe de X au carré, mais elle est magnifique. On a l'impression qu'elle sourit quoi qu'il arrive et qu'elle sera toujours heureuse : le bout des lèvres tourné vers le ciel.

Et moi, je suis Gus' au carré. Ou Gus' tout court. Et je suis négatif. Rt c'est ainsi que ma courbe s'attriste et plonge vers le bas. Boum. Direct droit jusqu'aux enfers. Voilà, je suis comme ça, je suis une putain de courbe négative. J'ai beau apparaître comme Gus' au carré à l'extérieur avec mon beau sourire, mais à l'intérieur je ne suis plus rien. J'ai dû attraper un moins au passage et me voilà triste, souriant vers les enfers. Une putain de courbe négative.

    Il était 17h30, et je me trouvais dans la voiture de ma coach Pom-pom Girl. Ce n'était pas un imprévu d'après Paul Valéry, qui disait « Quoi d'imprévu pour qui n'a rien prévu ? » et hors du fait que ce soit poétique, je n'avais rien prévu ce soir là. Mais c'était tout de même étrange de se retrouver dans la voiture d'une coach Pom-pom Girl que je ne connaissais que d'une semaine seulement.

- Où va-t-on, madame ?

- Je t'emmène à ton premier cours de danse. Si j'ai bien compris c'est ce que tu veux faire, n'est-ce pas ?

Elle m'avait fixé dans les yeux et je me rappelle m'être inquiété au sujet de la direction subite que prenait la voiture. Boum. Courbe logarithmique, nous étions bons pour l'accident. Par chance elle détourna son regard à temps.

- Oui c'est ce que je veux, mais je n'ai pas d'argent.

- Tu n'en as pas besoin, c'est gratuit.

- Mais la danse est un sport de riches ! m'exclamai-je.

-Qui t'a mis des idées pareilles dans la tête ?

Elle paraissait contrariée.

- Ma mère. C'est un sport de filles et de riches.

- La danse n'est pas qu'un sport Augustin, c'est un Art.

Soit. J'étais rentré dans la petite salle de fitness, un peu délabrée et vieillie par l'usure et le temps. Il était 17heures40. La coach m'avait laissé rentrer seul dans le vestiaire des hommes puis elle était partie parler à la professeure, entre « adultes ». Ça aussi c'est un truc que je ne comprenais pas encore : ce besoin de parler entre adultes. Comme s'ils comprenaient tout mieux que nous, les petits, les gosses, les marmots. J'étais intelligent, moi, je savais réfléchir bien plus vite que papy par exemple.

Enfin, tout ça pour dire que je m'étais retrouvé dans le vestiaire pour hommes et c'était désert, no one. J'étais resté assis sur le grand banc, les jambes ballantes dans le vide à attendre que les adultes finissent de discuter parce que j'étais déjà en tenu : mon T-shirt blanc encore sale et mon short de basket. Et parce que j'avais été tellement pressé d'être 17 heures que j'avais séché mon dernier cours de la journée pour enfiler ma tenue de sport et m'asseoir devant le collège à attendre la coach.

Je ne savais pas comment les danseurs s'habillaient habituellement. Je n'avais vu qu'un seul danseur dans ma vie, sur la grande place de la ville près de la fontaine. Ça avait été un coup de foudre immédiat. Boum. Qui vous arrive dessus sans vous laisser le temps de sortir les pieds de la rivière. Et ça donne une décharge de passion qui reste en vous à vie. Je l'avais regardé toute l'après-midi jusqu'à ce qu'il arrête de chasser l'air avec ses bras et ses jambes. J'avais eu l'impression que tout son corps se sentait en pleine harmonie avec l'existence. Il arrivait à sourire seul, à se rendre triste et à faire exploser la place de son talent. Et je m'étais juré qu'un jour, je ferai de même.